mardi 27 mars 2018

Un signe ou un outil ?

Jean-Luc Moulène, Faux Fénautrigues, 2012
Je vois d'abord une scène : donc un corps
au centre un signe : écriture. 
Ce signe au sol est un outil, prolongement oui d'un corps. 
Je pose mes mains sur les poignées à terre (elles brillent), 
je me redresse, maintenant je le tiens.

J'imagine, que le photographe a disposé 

sciemment l'outil face à lui pour faire signe, avant 
de monter prendre du recul 
à la fenêtre surplombante.

Ce signe sert à couper 

il est aiguisé et dangereux 
métal et bec.

Tout autour les fleurs 

en pot : disposées et soignées, 
pimpantes 
pour un temps ! Quel temps ?

Porte, chemin de pierres, escaliers, 

tout pour partir, 
hors cadre.

Sur le bitume même où
la faux-signe fait fond,
des touffes d'herbe disparates :
Insolentes va !



Pour connaître Fénautrigues (trois chemins, au ruisseau, vers le haut, en bas) : ici, , et encore
 

samedi 17 mars 2018

Une nouvelle pauvreté

Gordon Matta Clark, Window Blow Out, 1976
Joseph Kosuth, Clear, Square, Glass, Lean, 1965
Le verre, ce n'est pas un hasard, est un matériau dur et lisse sur lequel rien n'a prise. Un matériau froid et sobre, également. Les objets de verre n'ont pas d'"aura". Le verre, d'une manière générale, est l'ennemi du mystère. Il est aussi l'ennemi de la propriété. Le grand écrivain André Gide a dit un jour : chaque objet que je veux posséder me devient opaque. Si des gens comme Scheerbart rêvent de constructions en verre, serait-ce parce qu'ils sont les apôtres d'une nouvelle pauvreté ?
Walter Benjamin, Expérience et pauvreté, 1933

Pour l'exposition "Idea as Model" à l'Institut d'Architecture et d'Etudes Urbaines de New York en 1976, Matta Clark a créé Window Blow Out. L'exposition regroupait le travail de plusieurs architectes dont Richard Meier et Michael Graves, présentant des maquettes d'architecture élaborées. Se référant à ces deux architectes, Matta Clark qui avait étudié l'architecture à la Cornell University, déclara : « Ce sont les gars avec qui j'ai étudié à Cornell, ce sont mes professeurs. Je déteste ce qu'ils représentent. » La nuit précédant l'ouverture, Gordon Matta Clark a abandonné son idée initiale de découpe dans l'espace. Au lieu de cela, il emprunta un pistolet à air à Dennis Oppenheim, souffla toutes les fenêtres du hall d'exposition et remplaça chacune par une photo montrant un projet de logements récents dans le South Bronx, dont les fenêtres avaient été brisées par les habitants. L'acte était très agressif et violent. Pour Peter Eisenman, alors directeur de l'institut, cette action remémorait la "Nuit de cristal" en Allemagne. Les fenêtres ont toutes été remplacées la nuit avant l'ouverture de l'exposition.


Ugo Mulas, Verifications, 1969-1972
Ugo Mulas, Verifications, 1969-1972
En 1970 je me suis mis à faire des photographies ayant pour thème la photographie elle-même : analyse, en quelque sorte, de l'opération dans le but d'en identifier les éléments constitutifs et leur valeur en soi. (...) J'ai voulu comprendre le métier que je pratiquais, en analyser les phases successives, démonter chacune de ses étapes comme on démonte une machine pour mieux connaître son fonctionnement.
Ugo Mulas

Quand on rend le spectateur conscient du verre, de la pluie sur ce verre, de l'obstruction d'une partie de son point de vue, on dévoile le morceau de verre original, c'est-à-dire l'objectif, cette chose qu'on est sensé faire semblant d'ignorer. Ce qui désigne le fait de regarder comme un acte et un choix qui sépare le sujet de l'objet. 

Todd Haynes, Cahier du Cinéma n°718, 2016

dimanche 11 mars 2018

Hommes portant

Boris Lehman et la galerie du cartable
Irving Penn, Vitrier, 1950 - Lewis W. Hine, New York, 1912
L'homme portant c'est Boris Lehman. L'homme à la caméra puis l'homme aux bobines puis son film "Homme portant" lui-même transporté par David Legrand au fil des déambulations de la galerie du cartable. 

Deux atlas modernes. Non plus cloués sous le poids comme le titan mythologique mais errants, inlassables, parcourant la ville. 
L'un chargé de toute une boule de "matière naufragée" opaque, l'autre lesté de plaques de verre, transparentes, captant furtivement les lumières et les reflets. 
L'un chargé de toute une pile de "matière naufragée" opaque, l'autre endossant l'écran, lueur tanguant et traversant les espaces obscurs. 

Oscar Schlemmer dirait de l'un qu'il est une marionnette et de l'autre une architecture en mouvement.

Tous devenus en partie nymphes ? Nymphes déplaçant les images ! Tantôt les images-matière tantôt les images-lumière.


Willy Ronis, Vitrier rue Savart, 1947 - Vitrier, 1950
Maintes fois Willy Ronis m'a parlé de la rue Laurence Savart, l'une de ses favorites dans le secteur de Belleville-Ménilmontant. Il m'a raconté comment, un petit matin de 1947, il avait failli "louper" sa célèbre photo de cette rue. En passant dans la rue du Retrait, un bref éclat de lumière attira son attention, c'était le vitrier qui remontait la rue Laurence Savart. Sans ce "flash" produit par les vitres de l'artisan, "j'aurais vraisemblablement continué tout droit mon chemin" me disait-il.

Détours 
par la "Tête collective" de Lygia Clark, 
par la marche de Kim Jones sur Wilshire boulevard 
par un rapt ou un ravissement de jacques Villéglé 
par Apollon assoupi dans un tableau de Lorenzo Lotto 
ou par un château de cartes de Gerhard Richter
 
Kim Jones, Lygia Clark et Jacques Villeglé
Lorenzo Lotto et Gerhard Richter