lundi 29 mai 2023

La pêche

Laura Letinsky, Untitled #49, 2002
Jean-Baptiste-Siméon Chardin, Panier de pêches,1768
Si, dans Untitled #49, Laura Letinsky emprunte à Chardin, c'est pour opérer un double retournement (spatial et temporel). Le fond de Chardin ferme délicatement la scène et la bascule vers nous (vers l'espace réel qui contient aussi le tableau). Le manche du couteau est tendu à notre portée, on dirait maintenant qu'il est dans l'espace virtuel 3D qui nous inclut dans la scène. Toutes les actions sont à faire, sortir le cerneau de noix, boire le vin, peler la pêche. Le tableau s'offre. La photographie de Letinsky manifeste un retrait. Les choses ont reculé, elles se tiennent instables sur le bord arrière d'une table trop étroite. Ce n'est plus l'étroitesse d'un raccourci dû à la perspective, mais celle de l'objet réel. À peine une planche sur laquelle une autre planche, à découper cette fois, évoque une fonction, un prolongement et une mobilité. Tout est fait, la pêche est mangée, le café est bu, on a taché la nappe, certains fruits ont commencé à pourrir. Entre le fond et le plateau, le coin d'une fenêtre a ouvert un espace où les objets sont sur le point de tomber. S'ils tombent, c'est dans l'image. La photo est prise en pose longue, elle inclue une durée, comme la peinture. Cependant ce n'est pas du temps de l'action qu'il s'agit mais celui de la disparition, de l'évaporation, de la décoloration, comme le suggèrent les couleurs. Dans l'après-coup.

dimanche 28 mai 2023

« Comment ? »

Laura Letinsky, Polaroïds de la série Time’s Assignation, 1997-2008
Laura Letinsky, Untitled#48- série Hardly More Than Ever

Chaque photographie que nous voyons dans les livres, sur les écrans ou sur les murs des galeries existe au sein d'une constellation d'autres photographies connexes, autant d'essais qu'il est plus rare de voir. Ce sont des images de processus, tous les jalons d'un travail d'approche, à tâtons, par approximations. Il y a les photos de la planche contact, ou les fichiers dans la carte mémoire qui parfois dévoilent l'approche du sujet ou la mise en place du cadre. Il y a les polaroids pris dans le studio pour vérifier une lumière ou un cadre. Il y a les essais du tireur qui règle un rapport de couleurs. Chaque processus de travail déploie sa propre panoplie de recherches et de calages. L'image unique est bien entourée !

Dans la série Time's Assignation, Laura Letinsky a regroupé les images polaroïd de type 55 qu'elle réalisait avec son appareil 4×5 inch, avant la prise de vue sur le plan film, pour tester la lumière, la composition et l'exposition lors de la mise en place de plusieurs séries de ses natures mortes, entre 1997 et 2008. Ces polaroïds doivent être fixés pour pouvoir se conserver. Cette opération est omise quand le polaroïd sert d'instrument de vérification juste avant l'impression sur le plan film, c'est pourquoi la plupart des images ont continué à évoluer dans le temps révélant une matière photographique instable.

Il y a un certain degré d'intentionnalité, puis l'image se construit par déplacement successifs. Déplacement des objets, changement d'un réglage ou du point de vue, autre lumière, transformation de l'émulsion sensible, à chaque fois les rapports se reconfigurent et les polaroïds disent : "Comment ?"

Laura Letinsky, Polaroïds pendant la série To Say It Isn’t So, 2006-2008
Laura Letinsky, Untitled #3 - série To Say It Isn’t So, 2006
Laura Letinsky, Polaroïds de la série Time’s Assignation, 1997-2008




mercredi 17 mai 2023

Déclic-jupe

Viridiana, Buñuel, 1961

Viridiana, Buñuel, 1961 - Les mendiants sont autour de la table du festin. "Enédina va nous faire une photo". Tous passent derrière la table pour la photo. Une cène se prépare."Quand je dirai , on ne bouge plus." L'image cinéma se fige en la cène. Trois plans arrêtés et le chant du coq. Enédina soulève sa jupe (prend la photo ainsi) en riant. Eux, tous disposés à apparaître, sont à même de (bien) voir.   

Le déclic-jupe : c'est un renversement.
Elle déclenche (les rires aussi) en se renversant.
Toute image est renversement

Il s'agissait de ce qui se laisse découvrir, voire soustraire « sous les jupes », « sous les manteaux bordés de fourrure », « sous l'extravagante robe du peintre », où « les corps remplissent bien leurs fonctions ». Derrida, Glas, 1974
Pour le tournage de Sept ans de réflexion (The Seven Year Itch), réalisé par Billy Wilder, Marilyn Monroe et Tom Ewell se rendent le 15 septembre 1954 à Times Square, pour filmer la scène finale du film, au-dessus d’une bouche de métro.