dimanche 27 octobre 2019

Portraits de compagnies (3) artistes

1- Artistes conceptuels : Robert Barry, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, Lawrence Weiner, participants à l'exposition de Seth Sieglaub "January 5-31, 1969"
2- Rolling Stones
3-Thierry Raspail, Jérôme Sans, Thierry Prat, Nicolas Bourriaud, 2005

Pour photographier un groupe d'artistes encore faut-il les réunir.

Ce sont les spécificités des pratiques artistiques qu’il défend qui conduisent Seth Siegelaub à envisager la présentation des œuvres conceptuelles sous la forme du catalogue. « Avec les livres d’artistes nous disposons d'un objet accessible à tous et loin de l’accrochage de l'exposition, pour des œuvres-documents dont la forme finale ne dépend pas d'un media traditionnel, d’un matériau ou d’un environnement spécifique. » dira Douglas Huebler.

Si le catalogue permet de réunir des artistes qui opèrent en des lieux et temps différents, la photographie (de compagnie) de façon plus classique exigent leur co-présence, leur "exposition", ce sont eux qui se retrouvent accrochés au mur. C'est sans doute cette situation conventionnelle peut convenable pour ces artistes-là que tente de contredire la pose "mauvais garçon" genre Rolling Stone. Mais comment interpréter cette même pose quand ce sont des commissaires d'expositions, responsables de lieux réputés qui la prennent ?


1-Les Irascibles, Life Magazine,1951
2-Groupe Gutai, Japon, 1954
Pour son édition du 15 janvier 1951, le magazine Life a décidé de publier un reportage avec une photographie des "irascibles". C'est Nina Leen qui photographie dans un studio de la 44ème rue, le 24 novembre 1950, quinze des dix-huit irascibles, signataires de la lettre de protestation adressée au président du Metropolitan Museum of Art contre l’exposition American Painting Today (1950). 

On y voit : Willem de Kooning, Adolph Gottlieb, Ad Reinhardt, Hedda Sterne, Richard Pousette-Dart, William Baziotes, Jimmy Ernst, Jackson Pollock, James Brooks, Clyfford Still, Robert Motherwell, Bradley Walker Tomlin, Theodoros Stamos, Barnett Newman, et Mark Rothko. Il paraît que Jackson Pollock fit le voyage exprès pour la photographie et que c'est Barnett Newman qui proposa de poser "comme des banquiers".


1-Mario Dondero, Les protagonistes du Nouveaux roman, 1959
2- Congrès des constructivismes et dada à Weimar, 1922 - Kurt Schwitters, Jean Arp…
 Voici deux photographies prises sur un trottoir.

A l'automne 1959, Mario Dondero, photographe de presse est chargé par la revue Illustrazione italiana d'un reportage sur le Nouveau Roman. L'éditeur, Jérôme Lindon, a accepté d'aider le photographe en servant d'intermédiaire auprès de certains auteurs pour obtenir leur participation à la prise de vues. La présence de Beckett, par exemple, relève d'un tour de force. Au jour dit, devant le siège des éditions de minuit, Michel Butor, la vedette du groupe, est en retard, le regard inquiet de Jérôme Lindon scrute son arrivée. Le retard se prolongeant et la menace de départ de certains auteurs se précisant le photographe décide de faire la photo sans lui.

Ce portrait de groupe qui réunit Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Claude Mauriac, Jérôme Lindon, Robert Pinget, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute et Claude Oilier sera publié dans le numéro de février 1960 de la revue. Cette image apparemment accidentelle, faussement spontanée comme en témoigne l'apparent désordre des personnages, deviendra l'un des plus célèbres clichés de groupe littéraire. Elle restera comme l'inventaire de référence, la seule définition stable du Nouveau Roman que ni le discours critique, ni l'analyse littéraire ne sont jamais parvenus identifier clairement.


1- Les membres et proches du groupe surréaliste autour du portrait de Germaine Berton, 1924
2- Man Ray, Séance de réve éveillé (1924) Assise : Simone Breton et autour d'elle : Max Morise, Roger Vitrac, Jacques-André Boiffard, André Breton, Paul Éluard, Pierre Naville, Giorgio de Chirico, Philippe Soupault, Jacques Baron, Robert Desnos

Les surréalistes : rêves et réalités

En 1923, éclate l’affaire Germaine Berton : le 23 janvier, la jeune militante anarchiste assassine le secrétaire de rédaction à l’Action française Maurice Plateau, dans les locaux du journal, d’un coup de revolver. En décembre, lors du procès de la meurtrière, Breton ne pense qu’à elle, voit en elle l’incarnation de la révolution et de l’amour. Après son acquittement, Breton, Aragon et Max Morise vont lui porter une corbeille de roses et d’œillets rouges, accompagnés de ces mots : « À Germaine Berton, qui a fait ce que nous n’avons su faire ». Son portrait, entouré de photos de 28 membres et proches du groupe, sera au centre d’un photomontage publié dans le numéro du 1er décembre 1924 de La révolution surréaliste, avec cet épigraphe de Baudelaire : « La femme est l'être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves.»

Fin 1922, selon Aragon « une épidémie du sommeil s’abattit sur les surréalistes… ils sont sept ou huit qui ne vivent plus que pour ces instants d’oubli, où, les lumières éteintes, ils parlent sans conscience, comme des noyés en plein air… ». Cette période appelée plus tard « l’époque des sommeils » fut marquée par la tentative de « parler ses rêves ». Tous ici entourent Desnos lors d’une séance d’écriture automatique. Pratique collective, ils écoutent une parole des profondeurs. Le processus d'émergence de cette parole est ici soigneusement mis en scène par man Ray dans une image centripète construite autour de la "machine à écrire". A mi-chemin entre la boîte, dans les mains actives de Desnos, et le geste pensif de Breton, la feuille où tout s'écrit, s'enregistre, dans l'automatisme de la frappe.
 
Irving Penn, Broadway Personalities, 1947
Suprême vanité autour d'un crâne.

Portraits de compagnie, étudiants de première année, isdaT, 2018

mercredi 16 octobre 2019

Cailloux

Séance de photographie au caillou, isdaT le 7 octobre 2019
Q — Vous avez parlé tout à l'heure d'un piège de la vue, quelque chose comme ça, c'est votre appareil photo ? 
R — non, pas du tout, c'est avant, une chose que je faisais quand j'étais petit. Je fermais à demi les yeux, il ne restait plus qu'une mince fente par laquelle je regardais intensément ce que je voulais voir. Ensuite, je tournais trois fois sur moi-même et je pensais qu'ainsi, j'avais attrapé, prise au piège, ce que j'avais regardé, que je pourrais garder indéfiniment non seulement ce que j'avais vu, mais aussi les odeurs, les bruits. Bien sûr, à la longue, je me suis aperçu que mon truc ne marchait pas, c'est alors seulement que je me suis servi d'outils techniques pour y parvenir… 

Dans cette interview de Jacques-Henri Lartigue, relatée par Paul Virilio dans Esthétique de la disparition, nous voyons comment le petit Lartigue utilise tout son corps pour "prendre l'image".

Des gestes pour prendre l'image, isdaT, 7 octobre 2019
Rembrandt, La Lapidation de saint Étienne, 1625
Il y a un cercle du touché et du touchant, le touché saisit le touchant ; il y a un cercle du visible et du voyant, le voyant n'est pas sans existence visible ; il y a même inscription du touchant au visible, du voyant au tangible, et réciproquement, enfin il y a propagation de ces échanges à tous les corps de même type et de même style que je vois et touche,— et cela par la fondamentale fission ou ségrégation du sentant et du sensible qui, latéralement, fait communiquer les organes de mon corps et fonde la transitivité d'un corps à l'autre. Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l'invisible, 1964

Françoise Goria, Caillou, 2019

mercredi 9 octobre 2019

Portraits de compagnies (2)

Les studios Méliès à Montreuil
Comment fait-on le portrait d'une action ? 
  
Frances Benjamin Johnston, Photographies au Hampton Institute,1899    
FrancesBenjamin Johnston a réalisé des images qui décrivent certaines actions.
Le travail a été divisé et chacun montre un geste nécessaire à la réalisation de l'entreprise. L'image est une séquence, chaque personne un plan dans le déroulement de l'action. Les scènes sont posées, les personnages à l'arrêt. Le petit collectif rassemblé pour la photographie et distribué à sa surface rend visible les étapes d'un processus de transformation accompli par le travail.

Stephan Zaubitzer et Jean-Robert Dantou, Mon entreprise prend la pose, 2010   
Entre mars et octobre 2010, deux photographes, Jean-Robert Dantou et Stephan Zaubitzer, sillonnent la France pour photographier des entreprises. Leur choix : utiliser une chambre photographique grand format et faire poser l'ensemble (ou une partie représentative) des salariés sur leur lieu de travail. 

Jean-Robert Dantou, Vivre avec, 2012    
Pendant deux ans, j’ai entrepris en collaboration avec une équipe de recherche interdisciplinaire en sciences sociales un travail sur la prise en charge, familiale et professionnelle, de personnes handicapées ou dépendantes. J’ai rencontré vingt d’entre elles, je leur ai demandé de mettre en scène le collectif qui les accompagne dans leur vie quotidienne. Vingt rencontres qui témoignent de situations parfois difficiles, surmontées grâce à des proches et des professionnels. Jean-Robert Dantou