mercredi 25 juillet 2018

"Une" espace photographique

Patrick Tosani, in revue sgraffite 5/6, 1980


Patrick Tosani ajoute une donnée à la photographie : l'espace. L'image d'un espace s'installe dans une épaisseur. La photographie se présente comme un acte discret et unique qui actualise le lieu. L'espace photographique a ici deux directions : en avant (décollement) et latérale (espacement). "Une" espace apparaît alors. C'est une inscription. Un fait "dit", une singularité énoncée (prononcée). Une proéminence de l'espace vers l'œil. Du pur espace travaillant à sa représentation, scénographiant le lieu de la perception, hachurant la transparence de l'air. 

De l'espace à l'espace, l'image s'ajoute. La prise de vue n'est pas une extraction depuis le réel mais constitue une hypothèse (une idée). L'idée retourne au réel et le "serre". La matérialité du tirage manifeste la concrétude de cette hypothèse (de cette idée). L'idée et le lieu, alors intriqués, s'activent à produire une expérience (l'instance). Cette expérience, je la vois comme une manière de "faire corps". L'événement photographique a fait irruption dans ce coin. Si minces soient les corps de papier, ils font obstacle à la lumière (portent ombres) et à la vue (ça vibre !). Dans l'espace de l'interaction (l'architecture) une forme discontinue (des lames) et orientée (la vue) a pris place. 

Je regarde une série d'images dans un livre. Et l'image se défait. Le fait dit s'inscrit dans une image défaite. Le feuilletage des pages répond au feuilletage de l'espace. Fixité de l'appareil (du point de vue). Fixité de l'architecture (ce coin). Vibration de l'image (paupière). Cinq lames avancent du fond sur deux doubles pages. Aucune sur la double page centrale où c'est le livre même qui fait coin

Chaque tirage (chaque lame) cherche à coïncider tout en s'écartant. J'assiste à un écrasement du temps. Temps un : le lieu (repérage), temps deux : la prise de vue (photo), temps trois : le tirage de l'image (ailleurs, projection, anticipation), temps quatre : l'installation des tirages dans l'espace (construction : regardez les marques au plafond !), temps cinq : la prise de vue (encore, document ?), temps six : l'editing des photos dans le livre (ça tourne), temps sept : la lecture (reconstruction). Ecrasement, espacement, empilement ? Quoi ? 

Je ne vois rien par la fenêtre. Blanc fermé. C'est un intérieur. Entre sol et plafond. Plus les lames de papier sont disposées près du point d'observation, plus elles comportent de sol et de plafond. En haut et en bas, sol et plafond entrent dans la vue et poussent le mur du fond au milieu. La perspective au lieu de désigner un horizon se manifeste par une force verticale. 

On voit une lampe au plafond. 
Il paraît que les plafonds des décors de Citizen Kane étaient construits en tissu pour pouvoir placer les micros à la verticale des acteurs.