lundi 14 décembre 2020

Trois gestes par Richard Avedon

Trois photos de Richard Avedon, Buster Keaton- 1952, Marcel Duchamp - 1958, Charlie Chaplin - 1952
Qu'est-ce que c'est un geste ? Un geste de menace, par exemple ? Ce n'est pas un coup qui s'interrompt. C'est bel et bien quelque chose qui est fait pour s'arrêter et se suspendre.
Je le pousserai peut-être jusqu'au bout après, mais, en tant que geste de menace, il s'inscrit en arrière.
Cette temporalité très particulière, que j'ai définie par le terme d'arrêt, et qui crée derrière elle sa signification, c'est elle qui fait la distinction du geste et de l'acte.
Ce qui est très remarquable — si vous avez assisté au dernier Opéra de Pékin — c'est la façon dont on s'y bat. On s'y bat comme on s'est battu de tout temps, bien plus avec des gestes qu'avec des coups. Bien sûr, le spectacle lui-même s'accommode d'une absolue dominance des gestes. Dans ces ballets, on ne se cogne jamais, on glisse dans des espaces différents où se répandent des suites de gestes, qui ont pourtant dans le combat traditionnel leur valeur d'armes, en ce sens qu'à la limite ils peuvent se suffire comme instrument d'intimidation. Chacun sait que les primitifs vont au combat avec des masques grimaçants, horribles, et des gestes terrifiants. Faut pas croire que c'est fini ! On apprend aux marines américains, pour répondre aux Japonais, à faire autant de grimaces qu'eux. Nos récentes armes, nous pouvons aussi les considérer comme des gestes. Fasse le ciel qu'elles puissent se tenir à ce statut !
Jaques Lacan, Séminaire, livre XI, 1973 

 

Las, quittant tard la fête donnée pour ses 72 ans, Albert Einstein, tire la langue au énième photographe qui lui demande un sourire pour la photo. Las, fatigué par la croisade anticommuniste de McCarthy, dont il est l'une des cibles et s'apprêtant à quitter les États-Unis, Charlie Chaplin lors d'une ultime séance de pose avec Richard Avedon s'invente des cornes et fonce vers l'objectif. De guerre lasse, c'est le geste qui surgit.

Trois autoportraits de Richard Avedon et un portrait par Irving Penn (à droite)
Il faut que la photo crée derrière elle sa signification.

jeudi 10 décembre 2020

Mouvement des tables de Svoboda

Plusieurs photographies de table de Jan Svoboda
La table est la table, dans sa plus simple présence. Fragment détaché du monde environnant et clos sur lui-même, elle est isolée et vue là pour elle-même, c'est-à-dire pour tout. Elle est recouverte d'une nappe ou pas et de rares objets y sont posés. Tout ce qui est là vaut (importe) et donne l'humeur de la table. Il paraît que Svoboda a détruit ses négatifs. La table elle-même n'est aucune de ses apparitions et elle n'en est jamais la somme. Le plateau de la table incite celui qui le regarde à l'abandon. Plan de la table et plan de l'image se réfléchissent. Photographie de photographie, c'est-à-dire, de part et d'autre, deux états de choses momentanément solides et aussi solidaires. Une table c'est lent. Pensez aux mouvements des chaises autour ou des papiers, des crayons et des pots, ça virevolte en comparaison. La table est une surface imparfaite qui, dans la photo, devient un espace. L'espace c'est toujours ce qu'il y a entre un rectangle et un ovale, ce qui se passe des trapèzes de la perspective pour appeler le regard. 

William Eggleston
Détails d'un tableau de Cornelis Anthonisz - Laura Letinsky - Jan Svoboda