mercredi 24 octobre 2018

Picturediting#1- 2018- Trois phrases

Picturediting#1, 8 octobre 2018, Galerie du Quai, isdaTEkaterina Brunits et Isanka Capallere avec une photo de Catherine Martin    
Picturediting#1, 8 octobre 2018, Galerie du Quai, isdaTEkaterina Brunits, Catherine Martin, Paul Ricci, Isanka Capallere, Abel Pradel-Bourgogne, 
Picturediting#1, 8 octobre 2018, Galerie du Quai, isdaTGuillaume Chalté, Paul Vilaceque, Catherine Martin, Paul Ricci 
Premier accrochage du groupe de travail Picturediting avec les étudiants de 3ème année à L'isdaT. C'est l'occasion de nous confronter aux corps fragiles des photographies, d'en tester le poids visuel mais aussi physique. C'est aussi l'occasion de nous rassembler pour lier et éparpiller nos images dans un espace que nous n'occupons pas : 

J'ai percé l'abat-jour bleu des restrictions des couleurs, j'ai débouché dans le blanc ; camarades aviateurs, voguez à ma suite dans l'abîme… ! (Malévitch)

Nous avons inscrit trois "phrases visuelles" dans l'espace de la galerie. Cherchant une forme narrative spécifique, non-littéraire, susceptible de produire un développement. Une chose commence ici que je peux continuer. Elle commence par le milieu, par la condition physique de son existence, par la tension des bras. Elle commence par la circulation des échelles, la conquête des hauteurs, les dialogues en altitude, les objets passés entre les barreaux. Elle commence par des surfaces que l'on rapproche et des mots qui en montent.

Le mot phrase définit ici le rythme de nos images. Une phrase d'objets, de gestes et de postures, toujours prête à changer et que l'on reconfigure tout au long d'une durée qui est celle de l'accrochage. On en finit pas d'accrocher et de décrocher. Essaie ! Nous avons confiance dans le proche. Nous aimons le verbe chercher.

Ça va, oui ça va. Ces choses-là ne se repoussent pas l'une l'autre. Ensemble, elles changent. On les regarde et on dit "Qu'est-ce que c'est ?"


Picturediting#1, 8 octobre 2018, Galerie du Quai, isdaT
Cafetière à sténopés de Mélaine Coleiro
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Et tous les albums des Picturediting :

Picturediting#1, 8 octobre 2018, isdaT
Avec Ekaterina Brunits, Guillaume Chalté, Zhuan g Han, Catherine Martin, Paul Ricci, Isanka Capallere, Mélaine Coleiro, Benjamin Julienne, Abel Pradel-Bourgogne, Paul Vilaceque.    

mardi 16 octobre 2018

Fermez les rideaux



Entre le ciel et l'enfer, Akira Kurosawa, 138mn, 1963
Kurosawa réalise "Entre le ciel et l'enfer" en 1963. Le film en deux parties s'ouvre sur un long huit-clos dans une villa sobre et luxueuse dominant la ville et se termine juste après une plongée dans les bas-fonds, effrayants et misérables. Ce film est époustouflant par la construction de ces images à l'intérieur desquelles les positions des personnages signifient d'une manière très visuelle les rapports qui les lient. 
Rapports sociaux mais aussi rapports de circonstances, un dilemme, une confrontation, une complicité, un désaccord, une divergence d'opinion, un sentiment d'infériorité, tout se traduit à l'image par la tournure des corps. Torsion, aplomb, inclinaison, les mouvements de la conscience sont figurés. Ces relations des corps entre eux ont lieu dans l'espace réel pour être vues et lues par la caméra. L'intérieur de la pièce quasi vide accueille la disposition changeante des personnages. Chaque élément du dialogue engage l'ensemble du groupe qui se configure alors pour la surface de projection. Ces mouvements sont le rythme même de la pensée collective qui s'élabore sous nos yeux, de l'effort commun pour penser la complexité de la situation qui dépasse l'entendement des individus seuls. Ils se rapprochent, se touchent visuellement à des échelles distinctes, s'écartent pour se retrouver plus tard dans un rapport différent d'échelle qui suggère le cheminement et la transformation de la réflexion.
Pourquoi ai-je eu plusieurs fois la sensation que leur disposition d'ensemble à l'écran, se figeait imperceptiblement comme pour montrer un moment d'apnée ? Le souffle coupé, une aporie ou une limite, une tension extrême qui solidifie l'ensemble. Nous assistons à un ballet digne des plus belles peintures de la renaissance. L'espace est vacant, homogène et non fonctionnel, puis-je dire imaginaire et géométrique. Entre les figures, l'espace, aberrant, calculé, nécessaire à la construction du point de vue, celui de la caméra, le nôtre, élimine du jeu tout naturalisme. Quelle drôle de sensation de comprendre une situation à la fois en voyant et en entendant. Voir ce qu'on entend, pas toujours exactement en phase. J'entends, je veux dire je vois.


Plusieurs fois le personnage principal, Kingo Gondo, ouvre la vitre de la longue baie vitrée qui occupe tout le fond du format cinémascope et le son de la ville entre. Le son seulement car la ville est trop lointaine, dans cette première partie, pour qu'on la distingue. Ce son est pour lui un air. Prendre l'air pour y voir clair.
L'image est donc construite pour un plan de projection, disons l'écran du cinéma où je la vois. Mais ce plan dialogue avec un deuxième plan que je peux appeler par rapport à la scène qui se déroule, un fond. Au fond de la pièce, une porte est ouverte, ou bien la baie vitrée montre le panorama de la ville. C'est de cette ville que je devine au loin qu'un autre protagoniste, le malfaiteur, observe aussi la pièce à la jumelle. Il y a, au tréfonds du film, un autre spectateur, caché et actif, qui se manifeste en téléphonant et mène le jeu. Juste une voix. Lui, voit l'envers, c'est un autre point de vue. "Fermez les rideaux." dit l'inspecteur. Le rideau est tiré tout du long de l'écran. Une surface sombre et plissée occulte la profondeur, circonscrit la scène, nous redonne l'exclusivité de la vision, nous rend complices des préparatifs. "Que manigancez-vous derrière ce rideau fermé ?" dit le malfaiteur, et il faut l'ouvrir. Que les importuns plongent sous les tables ! Le film peut être vu de plusieurs endroits simultanément mais une chose est sure, c'est que le point de vue du malfrat est l'exact opposé du mien. Quelle confiance on me fait !


Tout au long du film, le fond, c'est-à-dire le plan intermédiaire, s'ouvre et se ferme sur des espaces de vision. Une fenêtre, une projection, une carte, le parebrise arrière d'une voiture, le vasistas d'un train, la vitre d'un parloir. Si dans un film policier le retournement de situation est un des ressorts, ici nous vivons littéralement le retournement des corps, nous les voyons voir et voyons avec eux. Quand tous nous fixons ce fond alors nous, spectateur, avons adapté notre vision à un plan un peu plus lointain que l'écran du cinéma dans lequel nous sommes. Un écran dans le film. Nous sommes tirés, entraînés dans l'effort de compréhension général pas seulement intellectuellement mais aussi physiquement.
Mais à la fin c'est un rideau de fer qui s'abat et coupe définitivement, avec fracas, l'espace en deux. L'hygiaphone dérisoire signifie encore la possibilité de parole là où le cri de démence retentit.