vendredi 21 avril 2023

Une méthode générative

Sol Lewitt, Muybridge I, 1964

Eadweard Muybridge, The Attitudes of Animals in Motion, 1881. planche D, montrant le dispositif des 24 appareils de Muybridge
Une des trois batteries d'appareils, avec le porte-plaques, utilisée par Muybridge pour réaliser les photos de Animal Locomotion, vers 1887
Les photographies de Muybridge, figeant le corps en mouvement, ont d'abord permis aux artistes de reconsidérer le naturalisme. Pour Sol Lewitt, la révélation opérée par ce travail, c'est la logique sérielle, l'utilisation d'un processus pour produire des formes et la représentation méthodique, sans affect, d'un sujet. Une méthode générative semble dès lors pouvoir être substituée à l'expressionnisme : "La logique de l'image sérielle était la chose la plus importante pour moi. Une sorte de réalisme philosophique." Sol Lewitt découvre les photographies d'Eadweard Muybridge en arrivant à New York en 1953. Les séquences photographiques de Muybridge, leur régularité, leur production mécanique, vont l'amener au principe de production à la base de l'art conceptuel : «L'idée devient une machine qui fait l'art.»

La planche 271 d'Animal Locomotion était accrochée dans un cadre au mur de l'atelier de Sol Lewitt. Une femme, se relevant depuis le sol avec un papier dans la main gauche, photographiée avec le système électro-photographique précis de Muybridge. Le système agit du début à la fin du mouvement, nous donnant toute l'information visuelle possible.


Eadweard Muybridge, Arising from the ground with a paper in left hand, planche 271 de la série Animal Locomotion, 1887
Première et dernière vue des photographies à l'intérieur de Muybridge I
Sol LeWitt, Schematic Drawing for Muybridge I, 1970, lithographie en noir et blanc

"Le but de l'artiste n'est pas d'instruire ou de satisfaire le spectateur mais de lui donner des informations. ... Il doit suivre son postulat de départ jusqu'à sa conclusion en évitant toute subjectivité. Le hasard, le goût ou le souvenir inconscient ne jouent plus aucun rôle dans le résultat." dit Sol Lewitt. L'opérateur sériel devenu clerc enregistre toutes les étapes du déroulement d'un postulat, sans état d'âme, même si on peut croire que la forme narrative persiste légèrement.

Cependant, l'absence d'affect n'est pas contradictoire avec la sollicitation d'un regard curieux. Bien que la figure ait disparu de l'œuvre de Sol Lewitt après 1964, "abandonnée, comme il l'a dit, pour simplifier les choses", pendant plusieurs années, il a produit des œuvres incorporant la figure en hommage direct à Muybridge. La structure intitulée Muybridge I est une longue boîte rectangulaire noire. Elle est percée de 10 orifices à travers lesquels on découvre une photographie. L'intérieur de la boîte est segmenté en dix compartiments muni chacun d'un petit judas qui révèle l'image d'une femme nue. De vue en vue, la femme semble avancer, le premier œilleton dévoilant toute sa silhouette, et le dernier un gros plan sur son nombril. 

L'importance de Muybridge dans les années 1960 faisait partie, selon les mots de Sol Lewitt, d'une "recherche d'une méthode d'organisation plus objective" en réaction à un art revendiquant la "sensibilité". Revenir à Muybridge était, paradoxalement, une manière de réinventer le modernisme en d'autres termes. Une œuvre d'art plaçant le spectateur à l'intérieur du dispositif, non plus ressentant à distance, mais manœuvrant à l'intérieur d'une mécanique en tant lui-même que pièce partie prenante pour dérouler une temporalité désaffectée.

Vue dans l'exposition Eadweard Muybridge and Sol LeWitt à la galerie Craig F. Starr, NY, 2019
Sol Lewitt, Modular Wall Structure

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire