lundi 29 mai 2023

La pêche

Laura Letinsky, Untitled #49, 2002
Jean-Baptiste-Siméon Chardin, Panier de pêches,1768
Si, dans Untitled #49, Laura Letinsky emprunte à Chardin, c'est pour opérer un double retournement (spatial et temporel). Le fond de Chardin ferme délicatement la scène et la bascule vers nous (vers l'espace réel qui contient aussi le tableau). Le manche du couteau est tendu à notre portée, on dirait maintenant qu'il est dans l'espace virtuel 3D qui nous inclut dans la scène. Toutes les actions sont à faire, sortir le cerneau de noix, boire le vin, peler la pêche. Le tableau s'offre. La photographie de Letinsky manifeste un retrait. Les choses ont reculé, elles se tiennent instables sur le bord arrière d'une table trop étroite. Ce n'est plus l'étroitesse d'un raccourci dû à la perspective, mais celle de l'objet réel. À peine une planche sur laquelle une autre planche, à découper cette fois, évoque une fonction, un prolongement et une mobilité. Tout est fait, la pêche est mangée, le café est bu, on a taché la nappe, certains fruits ont commencé à pourrir. Entre le fond et le plateau, le coin d'une fenêtre a ouvert un espace où les objets sont sur le point de tomber. S'ils tombent, c'est dans l'image. La photo est prise en pose longue, elle inclue une durée, comme la peinture. Cependant ce n'est pas du temps de l'action qu'il s'agit mais celui de la disparition, de l'évaporation, de la décoloration, comme le suggèrent les couleurs. Dans l'après-coup.

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