vendredi 19 septembre 2025

Apparitions de la mort

Julian Charrière, Polygon I, 2014 - 152 x 182 cm

Julian Charrière, Polygon X, 2014

La série photographique Polygon de Julian Charrière révèle le site d'essais nucléaires de l'URSS, Semipalatinsk, au Kazakhstan, comme un lieu post-apocalyptique : un sanctuaire pour un avenir ruiné.

«J’ai découvert l’existence du polygone nucléaire de Semipalatinsk, qui a les mêmes caractéristiques que le paysage fictionnel décrit par G. J. Ballard en 1964 dans sa nouvelle La Plage ultime. C’est ce qui m’a motivé pour aller découvrir ce que j’appelle un "futur fossile", un lieu qui nous permet de nous projeter à la fois dans le passé et dans l’avenir.»

«Je me suis aussi souvenu qu’Henri Becquerel avait découvert la radioactivité en posant une plaque photographique sur des sels d’uranium. Là, je voulais travailler sur un paysage culturel, fabriqué par l’homme, et sur une spécificité non visible de ce paysage.» 

L’artiste n’a pu se rendre sur place que pour de brèves périodes d’une heure et demie, sous contrôle militaire. Il a donc pris ses photographies, puis posé les films dans une boîte noire, entre le sol même et des cristaux pris à ce substrat particulier, créé en une microseconde par les réactions thermonucléaires. Ce sont les rayonnements hérités de ces réactions qui, en traversant le négatif, y ont inscrit ces traces. 

Dans ce lieu restreint, 268 bombes massives ont explosé entre 1949 et 1965. Des structures en béton ont été construites sur plusieurs kilomètres pour mesurer l’impact du souffle nucléaire. D’autres devaient permettre aux savants, ignorants des risques encourus, de se cacher. «L’ensemble prend l’aspect d’une horloge solaire. Même si notre civilisation disparaît, même si l’homme disparaît de la planète, cet endroit restera, témoin d’un moment où la science s’est brûlé les ailes.» 

De la même façon, utilisant des photos couleurs de grand format et une double exposition par matériel radioactif, Julian Charrière dévoilera, dans la série First Light, les paysages irradiés de l'atoll de Bikini où se téléscopent une vision idylliques d'îles tropicales avec la réalité de paysages post nucléaires exposés aux « "seconds soleils" atomiques.

Julian Charrière, Nutmeg – First Light, 2016 - 154 × 191 cm
Julian Charrière, Sycamore – First Light, 2016
La série des Thanatophanies est un portfolio de 30 planches édité par Parco Co. à Tokyo en 1995. Il rassemble trente gravures reproduisant des dessins à la mine de plomb réalisés par On Kawara entre 1955 et 1956 et qui devaient faire l'objet d'un livre, Portraits de japonais, jamais publié. Dix ans après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, alors que la guerre froide entrait dans une phase des plus tendues, cette galerie de visages monstrueux, irradiés, mutilés, déformés, cristallisait les inquiétudes de son époque. Le titre grec de la série – littéralement les « apparitions de la mort » – lui confère une connotation mythique et universelle. 
 
Ces Thanatophanies constituent un point de départ éclairant au travail de On Kawara qui, comme saisi par un sentiment d’urgence, comptait son âge en jours, télégraphiait quotidiennement I am still alive à ses correspondants, et consignait ses rencontres, ses lectures et ses déplacements.

On Kawara, Thanatophanies, 1955-56/1995
Le 4 janvier 1966, On Kawara peint la première de ses Date Paintings [Peintures de dates], basées sur un protocole rigoureux : un monochrome d’une couleur foncée (le plus souvent bleu, vert, rouge, marron ou gris) au centre duquel est peinte en blanc la date du jour de réalisation de la toile, dans la langue du pays où l’artiste se trouve à ce moment-là. Chaque peinture est conservée dans une boîte en carton fabriquée sur mesure, et accompagnée d’une page du journal local daté du jour de sa réalisation. Dès lors, On Kawara met en place les modalités de son œuvre inscrite dans le temps et dans l’espace.

On Kawara, Date Painting, 4 janvier 1966
On Kawara, I Am Still Alive, télégramme


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