lundi 12 avril 2021

L'huître et le directeur

Harun Farocki, Un nouveau produit, 2012
Voici une parabole, photographiée dans le film de Harun Farocki, Un nouveau produit

"L'huître et le directeur" 

Pendant une année, Harun Farocki a suivi les réunions de Quickborner Team, une société de consulting de Hambourg développant de nouvelles méthodes de travail, bureau nomade, hiérarchies plates, etc. Des systèmes d'oppression toujours plus sophistiqués et pervers. Les protagonistes acceptant d'être filmés au cœur de leur dispositif de travail, affichent l'arrogance de ceux qui exercent le pouvoir. C'est sans compter l'œil et l'oreille de Farocki, qui en retranscrivant fidèlement ce à quoi il assiste fait émerger le cynisme et l'approximation de propos qui cherchent à éluder la cruauté et l'indifférence d'un pouvoir qui se renouvelle, identique dans ses principes, pour mieux se maintenir et s'augmenter. 

Ce qui me frappe dans ce petit extrait où il est question des hiérarchies plates, c'est justement la platitude. L'absence d'idées sinon l'obsession de produire de la valeur jusqu'à l'hallucination de la perle finale. L'échange de propos entre l'intervenant et le directeur vise à faire émerger une image qui servira comme outil de concrétisation d'une idée. C'est la méthode des glissades. L'idée d'arrivée me semble être comme l'inconscient de l'idée de départ ou l'irruption d'un sadisme réfréné par les convenances de départ. Ouvrons, blessons, gagnons. 

C'est une huître que l'on ouvre ! 

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L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

Francis Ponge, Le parti pris des choses (1942)


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