samedi 17 décembre 2022

Caméléon

Dennis Adams, Double Feature, 2008 (extraits)

Dennis Adams cite cette fable que raconte Jean Seberg : "Vous connaissez la vieille histoire du caméléon. On le met sur du vert, il devient vert. On le met sur du noir, il devient noir. Mais si on le met sur de l'écossais, il explose." 
Voilà une idée de la complexité et de la densité que l'on voudrait investir dans chaque œuvre pour porter celui qui la regarde au bord de l'explosion. 
 

 Exposition Galerie MPA, Madrid, Dennis Adams, Double Feature, 2019

L'ensemble Double Feature, de Dennis Adams date de 2008, il est composé de 24 éléments comportant une ou deux images montées en diptyques verticaux. 
 
Chaque image est réalisée en insérant la figure de Jean Seberg prélevée dans le film À bout de souffle de Godard (1959) dans un photogramme tiré d'un autre film, La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo (1965). Jean Seberg semble déambuler non plus sur les Champs Élysées mais dans les rues d'Alger. Dennis Adams opère un court-circuit géographique entre Paris et Alger (et New York). Le collage, aux sutures invisibles, crée une nouvelle fiction (une fiction-fusion) ouvrant dans l'histoire réelle un espace critique qui reste irrésolu et mouvant. 
 
Pour Dennis Adams, Jean Seberg est un double ou un alter-ego. Comme lui elle vient de l'Iowa. Dans plusieurs autres projets il s'est identifié aux figures avec lesquelles il travaillait et là dans ce projet tardif de 2008, il est bien conscient que c'est lui qui marche dans les rues d'Alger. Il aime cette idée de la marche, du récit dans la ville et de raconter deux histoires à la fois. Dans cet ensemble, Jean Seberg est vraiment à Alger. On pense inévitablement à son engagement pour la cause des Noirs américains et à la traque par le FBI dont elle fut victime. 
 
"Je voyais là-dedans un hommage à Nadja d'André Breton, moins romantique, plus précis, plus politique. C'est un travail très lucide et je me suis énormément amusé. J'ai adoré insérer Jean Seberg à Alger avec son innocence et sa sexualité. J'ai d'abord tout fait avec des ciseaux, ça a été réalisé plus tard sur l'ordinateur. Je ne suis pas à l'aise avec Photoshop alors je me suis simplement assis avec des milliers, littéralement des milliers de photographies, et j'ai commencé à couper et à positionner les choses à différentes échelles. Pendant deux mois, j'ai coupé et j'ai collé. Jean Seberg, je la poussais dans la foule ou je l'en retirais, je la rapprochais du jeune garçon algérien, Ali la pointe, comme si c'était Belmondo. Il y avait la guerre et l'érotisme à la fois."
 
Tout au long de cette séquence d'images en duo, je pense à la voix de Jean Seberg dans le film de Godard, criant le long des Champs Élysées, tout en discutant avec Michel : "New York Herald Tribune" et à la remarque de Harun Farocki face aux photos de Marc Garanger : "Une bouche, pour pouvoir goûter quelque chose, doit s'approcher de son objet. L'œil, lui, pour voir, peut rester à distance." L'appel de la voix de loin, le regard, la distance qui permet de se repérer versus le contact, la rencontre, le plaisir et le danger.
 
Exposition Galerie MPA, Madrid, Dennis Adams, Double Feature, 2019
 
Dennis Adams, Double Feature, 2008 (extraits)
 
Dennis Adams, Double Feature, 2008 (éditions)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire