mercredi 28 décembre 2022

Marcher

Bruce McLean, Running Sculpture, 1969 - John Hilliard, Across The Park, Londres, 1972 - Bas Jan Ader, In Search of the Miraculous, Los Angeles, 1973 -  Vito Acconci, Following Piece, New York, 1969 (détails)

Bas Jan Ader, In Search of the Miraculous, Los Angeles, 1973

Bas Jan Ader, In Search of the Miraculous, Los Angeles, 1973 

À l'automne 1973, Bas Jan Ader, réalise une marche de nuit à travers Los Angeles, des collines de Hollywood vers l'Océan Pacifique. Il restituera cette marche à l'aide d'une série de 18 photographies noir et blanc intitulée In Search of the Miraculous (One Night in Los Angeles). Démarrant au crépuscule le long d'une autoroute et arrivant à l'aube au bord de la mer, on voit Bas Jan Ader traversant l'étendue urbaine d'un pas déterminé mais sans hâte, se détachant le plus souvent en silhouette dans le paysage obscur ou pris de dos sur le panorama offert par les lumières de la ville. Tels des sous-titres dans les images d'un film, Ader a inscrit manuellement ligne par ligne, au bas des photos, les paroles d'une chanson des Coasters, datant de 1957, 'Searchin', reliant ainsi l'iconographie romantique du vagabond solitaire à une version transformée de la quête du sublime sous couvert d'une vieille chanson d'amour populaire. En 1974, Ader décide de continuer ce travail sous forme d'un triptyque conceptuel. Il projette de réaliser le rêve suprême du marin, de traverser l'atlantique en solitaire, de documenter le voyage et de clore le projet par un troisième volet, une marche à travers Amsterdam, en pendant à la pièce de Los Angeles. 

Bas Jan Ader a appareillé de Chatham, Massachusetts, le 9 juillet 1975 en direction de Falmouth, en Angleterre d'où il comptait rejoindre les Pays-Bas. Le 18 avril 1976, à environ 150 miles nautiques de la côte sud-ouest de l'Irlande, son petit voilier a été repêché par l'équipage d'un chalutier espagnol. S'il avait réussi, l'Ocean Wave aurait été le plus petit bateau à traverser l'Atlantique. Le corps de Bas Jan Ader n'a jamais été retrouvé.

John Hilliard, Across The Park, Londres, 1972

John Hilliard, Across The Park, Londres, 1972 

L'humour est un élément qui revient de manière récurrente. Si on regarde par exemple Across The Park, c'est une œuvre où l'on voit, au centre, un homme qui marche et l'image est recadrée différemment pour montrer ce que vous pourriez voir si vous recadriez l'image pour inclure ce ce qui est au-dessus de sa tête, ce qui est sous ses pieds, ce qui est devant lui et ce qui est derrière lui. La figure qui marche dans ce cas est délibérément choisie comme archétype de l'artiste sortant dans le monde et exécutant une sorte d'action - une promenade par exemple - et il prend des photographies et il les ramène dans la galerie. Je ne critique pas mes collègues, mais c'est une sorte de parodie. Le fait qu'il soit dans un parc accentue cela parce que ça dit "Vous pouvez faire ça dans le Montana mais vous pouvez aussi le faire à Hampstead Heath", c'est là que ça a été réalisé. (John Hilliard, entretien avec Richard West, Issue 52, automne 2007)

Bruce McLean, Taking a Line For a Walk, 1969

Bruce McLean, Taking a Line For a Walk, 1969 

J'ai réalisé une sculpture dans une pièce en utilisant le mur et le sol comme support. J'ai compris qu'il fallait documenter ça. J'ai essayé de photographier la pièce sans y parvenir ; je n'avais pas le bon objectif et pas assez de recul. J'ai d'abord pensé photographier des fragments pour les assembler ensuite. Ça ne fonctionnait pas du tout alors j'ai tout réinstallé dans la rue où là j'avais une bonne vision d'ensemble. J'ai voulu faire la photo dans la rue et bien sûr une voiture est passée, puis une femme avec un landau, puis un chien a pissé dessus. Au début, je me suis énervé et puis je me suis dit "Tout ce qui arrive c'est le travail, c'est tout." Le chien est réel je dois faire avec. En acceptant la rue comme faisant partie de la pièce, ça a ouvert les choses.

Vito Acconci, Following Piece, New York, 1969

Vito Acconci, Following Piece, New York, 1969 

En 1969, The Art Workers’Coalition, mouvement newyorkais engagé contre les pratiques muséales, fondé notamment par le critique d’art John Perreault, organisa un projet intitulé « Street Works ». Du 2 jusqu’au 25 octobre les travaux de chacun des onze artistes présents, se déroulaient en divers endroits de la ville. Vito Acconci participe à cette manifestation. Une fois par jour, durant vingt-trois jours, il choisit au hasard une personne dans la rue pour la suivre jusqu’à ce qu’elle entre dans un lieu privé. Abandonnant sa pratique d'écriture, il s'engage physiquement dans la filature : « Pour moi, Following Piece était une façon, une façon littérale, de quitter ma carrière de poète. Il le fallait. D’une certaine manière, la poésie est quelque chose que l’on fait chez soi. On s’assoit à sa table, on écrit dans son bureau. Pour ne pas rester dans cette pièce, j’avais la solution de sortir en ville. Pour avoir une raison de sortir en ville, je pouvais décider de me concentrer sur une personne dans la rue et laisser cette personne me guider dans la ville ».

Eadweard Muybridge, Animal Locomotion, planche 6, 1887

Francis Alÿs, The Green Line, Jérusalem, 2004

Francis Alÿs, The Green Line, Jérusalem, 2004 (vidéo : ici)

Les 4 et 5 juin 2004, à Jérusalem, Francis Alÿs marche du Sud au Nord de la ville en suivant la frontière qui avait été de facto reconnue après l’armistice de 1949 entre Israël et les États Arabes, la ligne verte : frontière aujourd’hui gommée, abolie par la colonisation, absente des cartes officielles israéliennes. Il marche pendant deux jours, sur 24 kilomètres, utilisant 58 litres de peinture qu’il laisse négligemment couler d’un pot tenu au bout de son bras, inscrivant la carte même sur la terre. Il passe devant les soldats qui n’y voient rien, devant des enfants qui rient, devant des adultes qui ne comprennent pas.

À l'origine, en 1948, la ligne verte avait été tracée par Moshe Dayan sur la carte avec un crayon gras vert de 3 à 4 millimètres de large, ce qui à l'échelle de la carte représentait une bande de terrain de 60 à 80 mètres de large. A qui appartenait la largeur de la ligne ?

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