Jean-Luc Moulène présente le poster de l'exposition-affiche-catalogue OUT - 1995 - Ecole d'art de Grenoble |
Ils passent un diplôme tous brillamment. Grosse fête. Jean-Pierre Simon, le directeur de l'école, les ayant trouvés brillants leur propose une exposition. On était vendredi, moi je dégage, je prends mon train. Les étudiants refusent de faire une exposition, en disant non, non, on a passé le diplôme, on a montré ce qu'on avait à montrer, l'affaire est terminée, on ne va pas, en plus, contribuer à l'image de l'école.
Et ils m'appellent au téléphone pendant que j'étais dans le train pour me dire : "On a une idée". Ah, ils avaient dit non et maintenant ils ont une idée. Ils me disent voilà, on voudrait que tu nous fasses un portrait de groupe, pour marquer l'année. (Ils ont nettement conscience de constituer une année). On veut un portrait de groupe qu'on présentera dans le hall de l'école pendant qu'on fera un grand dîner dans la Grande Galerie. Mais un grand diner exclusif, sans invités.
Il y avait donc une table constituée exclusivement par les 5eme année qui avaient passé leur diplôme. Sans œuvre, l'œuvre c'était justement qu'il n'y ait pas d'invités. C'est une conception de l'œuvre comme un objet clos. Cette histoire des invités, ou de faire des œuvres pour le public, ou de compter sur le public pour finir l'œuvre : non. Non. Ça n'a pas été très bien pris. En fin de dîner il y a eu des empoignades, justement sur cette question des invités. Pourquoi pas d'invités puisque l'art est une ouverture. Mais non, l'art c'est d'abord une clôture. C'est cette clôture qui va pouvoir s'ouvrir à l'interrogation critique ou pas.
Et donc me voilà en train de leur dire, vous faites chier, mais ok, je viens la semaine prochaine avec ma chambre, on fait ça en lumière du jour dans la galerie. Après, quand je suis revenu, j'ai aussi fait des petits dessins en fonction des personnes. Et donc il fallait faire un catalogue puisque la logique c'était qu'il y ait une expo de groupe, une œuvre dans l'exposition et un catalogue. Les étudiants avaient été convaincus par le fait d'avoir leur premier catalogue d'artiste. Comme on l'a fait ensemble, mon nom est dans la liste par ordre alphabétique, au même niveau et au même titre que celui des étudiants. C'est important pour moi, il n'y a pas de surplomb. Ça s'appelait "OUT". Il y a la liste des étudiants et moi-même, école de Grenoble, poster édité à l'occasion du dnsep, en 1995, imprimé à 500 exemplaires.
La dispersion de cet objet constitue l'exposition, l'affiche et le catalogue. Il m'en reste quelques-uns. Le petit texte du critique, obligatoire, qui n'est autre que Franck Perrin (avec qui on a eu de bonnes parties de rigolades). Et on en arrive au poster lui-même qui se déplie. Tu le vois ?
Là-dedans pour ceux qui connaissent le monde de l'art d'aujourd'hui, il y a des têtes qui sont familières, Matthieu Laurette par exemple. C'était en 1995, vingt ans après, un certain nombre de ces jeunes gens sont devenus des artistes. Artistes visibles, moi ce qui m'intéresse aussi c'est ceux qui ne sont pas encore visibles. Au début des années 80 les galeries recrutaient, aussi à travers les profs qui désignaient qui étaient les bons artistes etc. Donc la génération d'avant s'est constituée comme ça, sur une forte demande du marché. Moi, je n'avais pas cette position-là. J'ai plutôt conseillé aux étudiants de s'immerger, de préparer leur bombinette et quand elle serait prête de la sortir. Ne pas chercher à monter les échelons, de ma province vers Paris, de Paris vers l'international. Ça c'est des conneries. Donc, un certain nombre des gens qui sont là, on les reconnaît, mais d'autres sont toujours très actifs mais pas actifs dans le monde de l'art. C'est aussi l'intérêt d'une école, c'est ce qu'on appelait à l'époque le multi-plug. Un étudiant est quelqu'un qui, apte à pénétrer le monde du travail, doit être capable d'introduire sa réflexion esthétique au sein de n'importe quel système de production.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire