vendredi 13 février 2015

La main nécessaire (6)

Angels Ribé - Six possibilités d'occuper un espace donné, 1973, six photographies 51,5 x 55,5 cm    

Giuseppe Penone - Livre, poussière,piège, main, 1972
Hélène Almeida - Sente-me, 1979,  quatre photographies     
Claude Closky - 120 mains, 1993, C-print, collage, 200 x 70 cm (détail)    
Six, deux, quatre, vingt-quatre, cent vingt...mains


Angels Ribé - Six possibilités d'occuper un espace donné, 1973, six photographies 51,5 x 55,5 cm
Giuseppe Penone - Livre, poussière,piège, main, 1972
Hélène Almeida - Sente-me, 1979,  quatre photographies
Claude Closky - 120 mains, 1993, C-print, collage, 200 x 70 cm (détail)


Françoise Goria, Archéologie de la photographie (9)
La main 'mesure 2' ,1988-2013, vingt-quatre photos couleurs

mercredi 4 février 2015

Photographies verbales

Deux livres : Blaise Cendrars, Kodak, 1924
Clark Coolidge, Polaroid, 1975

En 1924, au Brésil, Blaise Cendrars corrige les épreuves de Kodak, qui sera publié dans l'année chez Stock. L'ouvrage est sous-titré (documentaire) au singulier.  

À la demande de la "Kodak C°" l'ouvrage sera rebaptisé Documentaires lors de sa réédition en 1944.
"... Sur notre objection que ce nom était celui d'un objet courant dans le commerce, que d'ailleurs cela ne pouvait lui faire que de la publicité, elle nous a répondu qu'elle est propriétaire du nom "Kodak" et que l'emploi à tort et à travers de ce mot, loin de lui servir de publicité, lui nuisait au contraire en l'écartant des emplois précis de produits vendus par sa firme. (...) Qu'importe un titre. La poésie n'est pas dans un titre mais dans un fait, et comme en fait ces poèmes, que j'ai conçus comme des photographies verbales, forment un documentaire, je les intitulerai dorénavant Documentaires. Leur ancien sous-titre. C'est peut-être aujourd'hui un genre nouveau." B.Cendrars
 

Le livre organisé en dix séquences nous embarque pour un trajet géographiquement illogique mais organisé, composé, comme un montage cinématographique. Les séquences peuvent s'enchaîner par fondus (brouillard, rideau de brousse) ou ellipse (panoramique vers le ciel).  

Les poèmes de Kodak, comme le révèle Cendrars, ont été « taillés à coups de ciseaux », la plupart dans un des romans de son ami Gustave Lerouge, Le mystérieux docteur Cornélius. La chasse à l'éléphant est relatée à la première personne et constitue un segment autonome d'une provenance étrangère à Gustave Lerouge. C'est dans le livre de Maurice Calmeyn sur les chasses au Congo que Cendrars a chassé l'éléphant. Il écrit dans Trop c'est trop, que les onze poèmes sur la chasse aux éléphants que contient Documentaires "ne sont le produit ni du chasseur d'images ni du cinéaste" mais sont "d'authentiques photographies verbales". En effet il les a découpés dans Au Congo belge.  

Cendrars (ancien assistant d'Abel Gance) monteur de "photographies verbales", sélectionne certains passages, les regroupe et les interpole. Il élague, téléscope les fragments. Il supprime les commentaires lyriques, les superlatifs. Il transpose, réduit les énoncés au présent. Il remplace, complète.

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Du campement nous entendons des éléphants dans la forêt
Je garde un homme avec moi pour porter le grand kodak
A douze mètres je distingue mal une grande bête
A côté d'elle il me semble voir un petit
Ils sont dans l'eau marécageuse
Littéralement je les entends se gargariser
Le soleil éclaire en plein la tête et le poitrail de la grande femelle maintenant irritée
Quelle photo intéressante a pu prendre l'homme de sang-froid qui se tenait à côté de moi
 

Blaise Cendrars, Chasse à l'éléphant (IV) , Kodak, Stock,1924

Au Congo Belge, Maurice Calmeyn :
Juillet 1er
"Départ à 5 h 3/4. Sur la route d'Angou, àune demi-heure du campement, nous entendons des éléphants dans la forêt que nous longeons. Gardant un homme avec moi pour tenir mon kodak, je fais faire une battue par les cinq autres [...]. J'avance avec un seul homme et l'appareil. A douze mètres, je distingue mal une grande bête; à côté d'elle il me semble voir un petit. Ils sont dans l'eau marécageuse ; il y a un instant, on les entendait se gargariser littéralement" (p308) [...]. "Lorsque j'ai tiré, nous étions à la lisière d'une petite clairière et le soleil de 10 heures éclairait en plein le mur de feuillage d'où émergeaient, à sept mètres, le poitrail et la tête de la grande femelle irritée. Quelle photographie intéressante eût pu prendre un homme de sang-froid se tenant à côté de moi !" (p.330).

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Nous entendons un troupeau

Il est dans une clairière

Les herbes et les broussailles y atteignent cinq à six mètres de haut

Il s'y trouve aussi des espaces restreints dénudés

Je fais rester mes trois hommes sur place chacun braquant son Bell-Howel

Et je m'avance seul avec mon petit kodak sur un terrain où je puis marcher sans bruit
Il n'y a rien d'aussi drôle que de voir s'élever s'abaisser se relever encore

Se contourner en tous sens

Les trompes des éléphants

Dont la tête et tout le corps immense demeurent cachés

Blaise Cendrars, Chasse à l'éléphant (VIII) , Kodak, Stock, 1924

Au Congo Belge, Maurice Calmeyn
Juillet 27
"Vers 7 heures nous entendons le troupeau; il est dans une clairière; les herbes, les broussailles y atteignent cinq et six mètres de haut, mais heureusement il s'y trouve aussi des espaces restreints dénudés. Je fais rester mes trois hommes en place et m'avance seul dans un terrain où je puis marcher sans bruit et assez rapidement. Rien de plus bizarre de voir s'élever, s'abaisser, se relever encore, se contourner en tous sens, prenant toutes les formes, les trompes des éléphants dont la tête, la masse elles-même demeurent cachées." (p.347)


Polaroid de Clark Coolidge, c'est une autre histoire : ici.