dimanche 14 août 2016

Un film d'horreur

Robert Smithson, instantané non retenu pour le nonsite "Line of Wreckage", Bayonne, New Jersey, 1968
Qui sait quel appareil photo choisir ? En fait, quand je marche dans un magasin photo, je me sens pris de faiblesse. La vue des rangées de matériel me remplit de lassitude et de mélancolie. Objectifs, posemètres, filtres, écrans, boîtes de pellicules, projecteurs, pieds, et tout le reste, ça me fait défaillir. Un magasin photo semble un cadre idéal pour un film d'horreur.
Robert Smithson, Art through the Camera's Eye, 1971

mardi 9 août 2016

Quitter ici, aller là

Géricault, Le Derby d'Epson, 1821
Eadweard Muybridge, 1878
Pourquoi le cheval photographié à l’instant où il ne touche pas le sol, en plein mouvement donc, ses jambes presque repliées sous lui, a-t-il l’air de sauter sur place ? Et pourquoi par contre les chevaux de Géricault courent-ils sur la toile, dans une posture portant qu’aucun cheval n’a jamais prise ? C’est que les chevaux du Derby d’Epsom me donnent à voir la prise du corps sur le sol, et que, selon une logique du corps et du monde que je connais bien, ces prises sur l’espace sont aussi des prises sur la durée. Rodin a ici un mot profond : «C’est l’artiste qui est véridique et c’est la photo qui est menteuse, car, dans la réalité, le temps ne s’arrête pas.» La photographie maintient ouverts les instants que la poussée du temps referme aussitôt, elle détruit le dépassement, l’empiètement, la «métamorphose» du temps, que la peinture rend visibles au contraire, parce que les chevaux ont en eux le « quitter ici, aller là », parce qu’ils ont un pied dans chaque instant.

Maurice Merleau-ponty, L'Œil et l'esprit, 1964 (chapitre IV)