lundi 25 novembre 2019

Hommes de mémoire

Lukasa, Luba people, République démocratique du Congo, bois, perles, métal
Les Luba d’Afrique de l’Ouest utilisent des «tablettes de mémoire» appelées Lukasa

Les Lukasa sont des tablettes de bois en forme de sablier qui sont couvertes avec des perles multicolores, des coquillages et des morceaux de métal, ou sont gravés en creux ou en relief et sculptées de symboles. Les couleurs et les configurations des perles ou des idéogrammes servent à représenter de façon symbolique des personnages importants, des lieux, des choses, des relations et des événements de la cour, pour assister la narration orale des historiens de la cour royale Luba. Un Lukasa sert donc d'archive topographique et chronologique des histoires politiques et d'autres ensembles de données, de façon similaire aux Adinkra du Ghana, aux tissus perlés Zoulous, aux tissus Ntsibidi ou aux bas-reliefs du peuple Fon au Dahomey. 

Les historiens de la cour, les "hommes de mémoire" faisaient courir leurs doigts sur la surface d'un Lukasa ou pointaient des éléments particuliers, tout en récitant les généalogies, les listes de rois, les protocoles, les histoires épiques de la grande migration Luba, un grand récit oral qui décrit la façon dont les héros, Mbidi Kiluwe et son fils Kalala Ilunga, ont introduit les pratiques politiques royales et l'étiquette de la cour. Pour les Luba, la forme d'un objet décrit la façon dont il fonctionne.

Homme de la société Mbudye utilisant un lukasa
Homme de la société Mbudye et Aby Warburg
Lukasa et planche n°78 de l'atlas Mnemosyne d'Aby Warburg
Planches n°77 et n°78 de l'atlas Mnemosyne d'Aby Warburg
Aby Warburg travailla sans relâche à Mnemosyne, l'atlas d'images depuis son retour de Kreuzlingen en 1924, jusqu'à sa mort en 1929. L'Atlas n'était pas seulement à ses yeux, un «résumé en images», mais une pensée en images. Pas seulement un «aide-mémoire», mais une mémoire au travail. C'est un dispositif photographique : de grands écrans noirs — de un mètre cinquante sur deux — sur lesquels il pouvait regrouper les photographies en les fixant au moyen de petites pinces facilement manipulables. Il s'agissait donc, à strictement parler, de faire tableau avec des photographies, et cela au double sens que recouvre le mot «tableau».  

Mnemosyne ose déconstruire l'album-souvenir historiciste des «influences de l'Antiquité» pour lui substituer un atlas de la mémoire erratique, réglé sur l'inconscient, saturé d'images hétérogènes, envahi d'éléments anachroniques ou immémoriaux, hanté par ce noir des fonds d'écrans qui, souvent, jouent le rôle d'indicateurs de places vides, de missing links, de trous de mémoire. La mémoire étant faite de trous, le nouveau rôle attribué par Warburg à l'historien de la culture est celui d'un interprète des refoulements, d'un «voyant» des trous noirs de la mémoire. Mnemosyne est un objet intempestif en ce qu'il ose, à l'âge du positivisme et de l'histoire triomphante, fonctionner comme un puzzle ou un jeu de tarots disproportionnés (configuration sans limites, nombre de cartes à jouer infiniment variable). Les différences n'y sont jamais résorbées dans quelque identité supérieure : comme dans le monde fluide de la «participation», elles s'animent de leurs liaisons que trouve — par une expérimentation toujours renouvelée — le cartomancien de ce jeu avec temps. 
Georges Didi-Huberman, L'Image survivante, 2002

Bibliothèque Warburg, Hambourg

vendredi 22 novembre 2019

Qu'est-ce que je veux ? Quelle est ma position ?

Thomas Hirschhorn, Conférence, Marseille, octobre 2015

On peut voir la conférence donnée par Thomas Hirschhorn à l'Ecole des beaux-arts de Marseille le 13 octobre 2015 : ici.
Et ses nombreuses cartes :


En 2007 j'ai fait ce plan car l'occasion s'est présentée, mais il était dans ma tête depuis longtemps. Il a fallu un événement extérieur, que quelqu'un me le demande, pour que je le fasse. Je l'ai fait il y a huit ans. Il est toujours valable. Tout ce que j'ai fixé sur ce plan compte. Tout est important, il n'y a rien qui ne soit pas important. Depuis des choses se sont affinées, d'autres se sont ajoutées mais ce qui est sur ce plan compte. Je ne renie rien. C'est ça faire un plan, tout ce qui y est compte et va durer. 

Ce plan je le porte toujours avec moi car il m'aide. C'est vraiment quelque chose qui m'aide. Des fois je suis perdu, des fois je ne sais plus avancer et ce plan-là il m'aide. J'ai voulu le partager avec vous et je vous invite à l'oublier tout de suite car s'il compte, ils ne comptent que pour moi certainement pas pour vous. TH




jeudi 21 novembre 2019

Une session poster

BorisCharmatz, Session poster, Musée de la danse, Rennes, 2011
Session Poster,The COMSOL Conference 2013 Rotterdam
Je propose au cours du prochain Picturediting de réaliser une session poster, c'est-à-dire de se réapproprier les «séances d’affiches» utilisées dans le champ scientifique. Le poster comme image, physique et mentale, condensant l’état d’une recherche et l'affirmant, un support à commenter, à mettre en débat. La session poster est aussi bien une exposition, qu'une série de performances ou de récits. C'est une forme hybride. Devant un poster résumant sa pensée à l'intérieur des objets qu'il produit, chacun livre une action, un récit, une situation en dialogue direct avec ses camarades. La session poster est une ruche de pensées, de mots et de gestes. Le poster peut se suffire à lui-même ou bien être une entrée pour présenter une installation, une vidéo ou une photo, il articule ou démonte, rapproche différents éléments d'un travail. Le poster est un appui pour la parole, une forme stimulante pour raconter l'expérience et ce faisant se surprendre déjà ailleurs.
Session poster, Boris Charmatz et étudiants du CERN
Déjà en 2012 (ici) cette forme me paraissait apte à pouvoir neutraliser le paradigme (l'opposition) entre théorie et pratique et propice pour inventer une forme de parole directement inquiétée par l'expérience (contrairement au commentaire). Une forme apte aussi à brouiller la frontière entre forme artistique et forme communiquante. Une forme déja migrante, des colloques scientifiques à la classe expérimentale et bocaliste de Boris Charmatz. Voyons.
Kazimir Malévitch, Analytical Chart 1924-1927

dimanche 10 novembre 2019

Picturediting#7 chez l'imprimeur


Nous avons suivi le calage du journal Picturediting#7 à l'imprimerie Delort à Toulouse. Journal conçu et réalisé dans le cours de photographie de Françoise Goria à L'isdaT. 

Toutes les images de la journée chez l'imprimeur sont : ici


Quatre pellicules successives d'encre (cyan, magenta, jaune et noire) vont se déposer sur le recto d'un millier de feuilles qui se présentent en un bloc à effeuiller, par aspirations et glissades, à une extrémité de la machine. Chaque feuille, prise à part, est entraînée sous les rouleaux à travers les groupes d'impression. Là, sur la plaque offset insolée, la zone imprimable avide des gras de l'encre, retient puis dépose, par pression légère, le film de couleur sur le caoutchouc du blanchet qui le transmettra au papier d'abord immaculé. Chaque groupe, à la file, exécute de la même manière le dépôt de la couleur dite qui lui est injectée et étalée par la batterie d'encrage. De loin, depuis la table de pilotage, nous réglons à la loupe et aux curseurs l'écart de la lame des encriers pour que le débit, zone par zone, corresponde à nos attentes de couleurs et de rapports de couleurs. Le conducteur arpente la plate-forme pendant le tirage, vérifiant la régularité de la répartition des encres dans les réservoirs ou de l'eau sur le toucheur mouilleur. Le bloc s'est reformé (et vite !) à l'autre bout de la machine. On le transporte, on le cale, on le retourne. Et idem, c'est reparti pour le verso. Quand le bloc, tout étourdi et alourdi des huit couches d'encres colorées intentionnellement déposées dans son feuilletage, repose sur la palette : les images sèchent.
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