dimanche 18 octobre 2015

L'image pulsion et l'instrumentaliste



Quand je filme moi-même, je me permets des choses, j'invente des choses que sans doute, je n'imaginerais pas avec une caméra sur pied. Avec le blackberry tu vois tu fais ça... et hop tu sens que tu as une image, et ça c'est la pulsion, c'est un sentiment de plaisir, c'est comme de découvrir les choses par une sorte de pulsion qui te mène à ce qui est filmé. C'est une sorte d'écriture, instinctive, oui, et pulsionnelle. Je ne passe pas par des choses écrites qui ensuite, comme dans le cinéma, doivent être transformées et alors jamais les choses ne sont pour le moment-même. J'écris pour tourner, je tourne pour monter, je monte pour mixer... Là, tout est fait quasiment en même temps et c'est moi qui le fais. Ensuite oui, je monte avec quelqu'un. Je suis beaucoup plus impliquée émotionnellement même sans m'en rendre compte que lorsque je travaille avec une grande équipe, même si ce sont des gens très proches... Quand je ne fais pas moi-même, je ne peux pas m'imaginer faire ce que j'ai fait là. Là, je fais. Quelque chose me guide et j'ose, j'ose un mouvement que je n'aurais jamais imaginé, c'est comme de l'écriture. (...) Je ne peux pas être plus proche de l'image que quand je la fais moi-même, et que je l'invente, je l'invente au moment-même. Pour moi, c'est un plaisir inouï. Le texte a été écrit à peu près au même moment pendant que je filmais par petites étapes. Je filmais en même temps ou un peu après, un peu avant, donc tout ça c'est une seule chose, ça forme une sorte d'osmose où tout se fait écho. Pas d'une manière très visible, ni dite, ni montrée. Ça se fait écho quand les gens arrivent et qu'ils sont libres eux-mêmes, alors ils peuvent sentir l'écho. C'est comme si je jette une pierre dans l'eau et tout se qui se passe autour, l'installation, c'est les cercles qui résonnent, qui résonnent, qui résonnent, qui résonnent...
Chantal Akerman


Je travaille à l'oeilleton, pas à la fenêtre, mais que crois que les jeunes gens aujourd'hui travaillent plutôt à la fenêtre. A la fenêtre, je vois trop de chose autour de l'image, tandis qu'à l'oeilleton, je suis comme dans une salle de cinéma, je ne vois que ce que je filme. Bien sûr, je peux me casser la gueule dans les escaliers ou me faire bousculer, etc, c'est un peu risqué.
L'image est enregistrée par l'objectif ici et le son quand vous parlez est enregistré juste en dessous. Ça donne une sorte de présence, de confidentialité qui fait que le spectateur reçoit quelque chose comme une conversation quasi immédiate entre le réalisateur, le filmeur et lui.
Cette caméra, je l'ai toujours dans la poche, je filme tous les jours, comme les peintres peignent ou comme les écrivains écrivent.
L'outil a changé l'économie du cinéma, c'est moins cher que le 35 mm, les caméras, la pellicule, le laboratoire, le développement, etc, et ça a changé l'esprit des cinéastes. L'outil a transformé la façon de filmer et le résultat qui est dans les salles. Moi qui ai connu la lourdeur du début, je vis dans le regret profond de ne pas être né avec ça. D'avoir commencé à apprendre à lire, puis à écrire, puis à voir des films, puis à avoir envie d'en faire et finalement ça n'est qu'à la fin de ma vie que je suis devenu - je considère ça comme un instrument - que je suis devenu un instrumentiste. Un instrumentiste sur le tard donc un instrumentiste moins doué que si j'avais commencé à quinze ans. (...)
Alain Cavalier


Alexandre Astruc

C'est pourquoi j'appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la Caméra-stylo. Cette image a un sens précis. Elle veut dire que le cinéma s'arrachera peu à peu à cette tyrannie du visuel, de l'image pour l'image, de l'anecdote immédiate, du concret, pour devenir un moyen d'écriture aussi souple et aussi subtil que celui du langage écrit. (...)
Alexandre Astruc, 1948

La Caméra-stylo, texte complet : ici