lundi 6 décembre 2010

La Chambre noire 2005-2009

Michel Campeau a visité plus de soixante-quinze chambres noires, de ses collègues et amis photographes, et a «documenté» patiemment ces lieux singuliers.

Michel Campeau

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"Acteur et témoin d’un moment charnière dans l’histoire du médium photographique, au moment du passage de l’analogique au numérique, j’investis l’iconicité de la chambre noire à travers ses débris postindustriels. Interrogeant la notion d’endeuillement, qui est au fondement de mon travail, je propose un état des lieux à la manière d’un expert en sinistre, en quête d’indices retrouvés sur « le théâtre du crime ». Enquête profanatoire et sacrilège, défiant la disparition du spectre panchromatique et l’essor fulgurant de l’informatique, j’éclaire de plein fouet le calfeutrage de la lumière parasitaire, la mécanique des agrandisseurs, le bric-à-brac électrique, le zigzag de la plomberie, les conduits d’aération, l’éclaboussure des sels d’argent et le compte à rebours des minuteries. Prenant l’histoire de la photographie à témoin, mes recherches se veulent une contribution au rôle emblématique de la chambre noire en tant qu’espace de création sans équivalent parmi les technologies de reproduction des images.

Les photographies numériques de ce portfolio ont été réalisées à Berlin, Montréal, Bruxelles et à Paris. Le projet dans son ensemble comprend également des photographies de chambres noires visitées à La Havane, à Toronto, à Niamey, à Hô-Chi-Minh-Ville et à Mexico. " (Michel Campeau, Sur la chambre noire, Études photographiques, 24 | novembre 2009)


... l’agrandisseur, les cuves, les bouteilles de produits chimiques, les pinces, les ciseaux, les poires, les cadrans, les minuteries; les rangements, les armoires, les étagères, avec des boîtes de papier photographique, des classeurs d’images, toutes sortes d’accessoires, quelques bibelots; les plafonds, les sols, les murs, avec des papiers collés, des chartes, des marques et des repères, et, parfois, mais rarement, une décoration, ici un papier peint, là une affiche ou un tableau; la plomberie, aussi, avec les robinets, les éviers, les tuyaux et le drain par où s’écoulent les produits chimiques; le système d’aération, avec les bouches, les ventilateurs; le réseau électrique, avec les lampes inactiniques, les signes lumineux «exit», «dark room in use», les interrupteurs, les fils et les prises de courant, etc. (extrait du texte de Olivier Asselin )


Le travail de Michel Campeau est présenté à Toulouse à la Galerie du Château d'Eau avec celui de Edgar Martins,
Michael Wolf
et Pétur Thomsen, jusqu'au 23 janvier 2011.

Une rencontre entre Michel Campeau et les étudiants du cours de photographie est organisée devant les oeuvres, dans le cadre du partenariat entre la galerie du Château d'Eau et l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts, le jeudi 9 décembre 2010 à 14h. Merci à l'artiste.


dimanche 5 décembre 2010

Collecting time

Michael Wesely - 9.8.2001 - 2.5.2003
The Museum of Modern Art, New York 125 x 175 cm

Michael Wesely - 04.04.1997 - 04.06.1999

Michael Wesely - 05.04.1997 - 03.06.1999

Michael Wesely utilise la technique du sténopé pour enregistrer les transformations urbaines. Il utilise des temps de pose de plusieurs années. A cette échelle de temps, l'architecture est en mouvement. Que ce soit sur la Potzdamer Platz à Berlin ou devant le Moma à New York, où il posa 8 appareils, le lent mouvement des bâtiments s'inscrit sur la surface sensible. Ces conditions extrêmes de prise de vues conduisent l'artiste à être attentif à des éléments particuliers du dispositif de prise de vues. L'appareil photo est lui-même une construction robuste qui doit résister au temps, aux aléas des divers passages. Lui-même architecture, il devient l'élément absolument stable, indémontable, fixe du dispositif. La densité de la lumière ensuite doit être filtrée expérimentalement pour éviter la surexposition.

Le temps, à cette échelle agit doublement : sur l'image en construction d'une part et sur le photographe de l'autre. Les deux années écoulées entre la pose de l'appareil et le développement de la surface sensible ont aussi agit sur l'opérateur en tant que personne, ses intérêts, ses perceptions, son travail ont également bougés.

Il n'y a pas d'instant décisif, ni d'instant, plutôt une détermination par rapport à un lieu, à sa capacité de transformation. L'image n'est pas arrachée au continuum du temps mais sa lenteur doucement l'y inscrit. L'écriture photographique rejoint ici le procédé même de l'écriture, les éléments se déposent successivement sur la surface, s'ajoutent les uns aux autres dans la linéarité de la durée même si l'image finale n'a rien, elle, de linéaire mais semble plutôt chaotique ne révélant que peu de chose de sa logique de construction.

Le fragment de seconde avait rendu visible des images nouvelles mais ces images lentes sont tout aussi inédites : l'absence de personnages, les consistances différentes que prennent les matériaux de constructions suivant l'empilement de durée qu'ils reflètent et leur combinaison avec des mouvements cosmiques démultipliés (du soleil par exemple).
Michael Wesely

dimanche 21 novembre 2010

Des objets "post-photographiques"

Des objets

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Quel est le point commun entre ces différents objets ?

Avant d'être reproduits sous forme d'images, c'est-à-dire transformés par la photographie en document de l'histoire de l'art, ce sont des objets réels, présentés dans l'espace réel, conçus et construits par des photographes ou des artistes ayant accordé une place importante à la photographie dans leur travail : Jean-Luc Moulène, Jean Marc Bustamante, William Christenberry, Man Ray, Rodney Graham, Philippe Ramette, Gordon Matta Clark.

Encore des objets

Il paraît que Claude Levi Strauss, quand il élaborait une nouvelle idée, avant de la développer sur le papier, par l'écriture, en construisait un modèle en trois dimensions. Il visualisait concrètement son idée, sa pensée, sous forme d'un objet, d'une structure, qu'il faisait tourner dans ses mains pour l'éprouver.

C'est en cherchant une image d'un de ces objets que j'ai lu le texte de Michel Zink : Bricoler à bonne distance.

Michel ZINK, « Bricoler à bonne distance », La lettre du Collège de France [En ligne], Hors-série 2 | 2008, mis en ligne le 24 juin 2010.


Des photographies

dimanche 14 novembre 2010

La Ville à l'envers

Abelardo Morell, Light Bulb, 1991

Abelardo Morell, The Chrysler Building in Hotel Room, 1997

Abelardo Morell fait des photographies en utilisant le principe de la camera obscura mais la camera obscura est aussi le propos de son travail. En couvrant toutes les fenêtres de plastique noir, il transforme les chambres d'hôtel qu'il occupe en machine à photographier. Un simple trou dans le plastique permet la formation de l'image inversée de la vue extérieure sur le mur opposé à la fenêtre. A l'aide d'une chambre grand format il photographie cette image de l'extérieur confrontée à l'architecture et au mobilier de la chambre. Depuis plusieurs années son travail évolue. Des prises de vue en noir et blanc qui nécessitaient un temps de pose de plusieurs heures (entre 6 et 10 heures) il est passé à une photographie en couleur de plus en plus rapide grâce à la technologie numérique. Il a rajouté une optique au trou initial et a donc gagné en définition de l'image projetée. Et maintenant, en utilisant un prisme, il renverse l'image, qui se projette donc à l'endroit sur le mur. Il gagne au fil du temps un certain réalisme qui permet à extérieur et intérieur de cohabiter de manière plus équitable sur l'image finale. L'image est à l'endroit, les détails sont bien définis, les objets rapides comme les voitures laissent leur image et non plus une traînée, les horloges gardent leurs aiguilles.

On peut se demander si ce réalisme-là n'est pas conquis au détriment d'une autre partie de la réalité.

D'après Jonathan Crary, dans de nombreuses descriptions de la chambre noire au XVIIIe siècle, sa représentation du mouvement passe pour sa caractéristique la plus frappante. Les observateurs s'étonnent souvent que les images fugitives qu'elle montre (des piétons en train de marcher ou des branches bercées par le vent) soient plus vivantes que les objets de départ (...) Ce qui est capital dans la chambre noire, c'est d'une part le rapport qu'elle institue entre l'observateur et le monde illimité, indifférencié, qui se déploie dehors, et d'autre part la manière dont le dispositif morcelle ou délimite méthodiquement cette étendue, afin de la donner à voir sans rien sacrifier de son essentielle vitalité. Mais le mouvement et la temporalité qui apparaissent si nettement dans la chambre noire précède toujours l'acte de représentation ; on peut voir le mouvement et le temps, en faire l'expérience, mais jamais les représenter.
Jonathan Crary, L'Art de l'observateur, éditions Jacqueline Chambon, 1994.
Pour poursuivre la réflexion : ici

Abelardo Morel
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Claes Oldenburg, Upside Down City, 1962
Cet objet de Claes Oldenburg est un rescapé d'une des performance qu'il réalisa dans son lieu de travail à New York, "The Store". L'objet suspendu au plafond dans l'espace exigu où les gens se pressaient rendait l'espace encore plus inconfortable. Une expérience de la ville, là aussi, qui mêle et confond par le truchement de la boutique les espaces intimes du corps avec ceux plus ouverts et aléatoires de la rue.

lundi 8 novembre 2010

Les photographes ambulants

Brésil, Joao Pessoa, 1998 - photos Goria



Partout dans le monde, des photographes ambulants utilisent encore la "boîte photographique", malgré la dure concurrence de la photo numérique.

La plupart du temps ils réalisent les photographies d'identité nécessaires à l'obtention de nombreux papiers administratifs.

Ils sont dans la rue et se servent de la lumière du soleil.

Sur une face de la boîte en bois, est fixé un objectif. A l'intérieur, le photographe dispose deux petits bacs qui contiennent les produits chimiques nécessaires au traitement de la photo (révélateur et fixateur) ainsi que des feuilles de papier de petit format (5 x 7 cm environ)

Une fois le modèle installé, l'opérateur se place derrière la boîte et regarde par une sorte de trappe, en guise de viseur. Il fait la mise au point en déplaçant une plaque de verre, à l'intérieur, jusqu'à ce que l'image qui s'y forme soit parfaitement nette. Puis, refermant l'ouverture, il glisse sa main dans une manche de tissu et positionne sur la plaque de verre, une feuille de papier sensible. Il avertit son client et ôte le capuchon de l'objectif, une seconde ou deux pour réaliser la prise de vue.

Repassant sa main dans la manche, pour atteindre l'intérieur noir de la boîte photographique, il saisit le papier et procède à son développement dans les différents bacs, toujours à l'intérieur de l'appareil. Une fois la photo sommairement fixée, il la sort et la pose sur une planchette qu'il a redressée en face de l'objectif. Là il photographie le négatif qu'il a obtenu. Il recommence toutes les opérations de développement et de fixage pour obtenir l'image positive définitive qu'il rince abondamment dans un seau d'eau avant de la soumettre à son client.

En photographiant plusieurs fois le négatif il peut obtenir plusieurs tirages. Il en garde parfois un, réussi, qu'il affiche sur un des côtés de la boîte comme exemple de son travail.


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Walker Evans

mercredi 3 novembre 2010

L'espace actif, ESBA Toulouse

jeudi 21 octobre 2010, premier accrochage du nouveau groupe de travail Picturediting à l'Ecole supérieure des Beaux-arts de Toulouse.

Les scénographes savent que la construction d'un récit ou d'une intrigue, la mise en scène d'un argument font appel aux qualités et aux ressources d'un espace considéré comme une réalité active par elle-même. Le vide de l'espace théâtral n'est pas sans "effet" sur les positions et les dispositions des acteurs et le décor lui-même ne saurait être considéré comme "observateur immobile de l'action qui se déroule dans le cadre qu'il délimite". Selon son organisation, l'espace scénique offre des "prises" différentes à l'événement qui se produit ou à l'histoire qui se déroule, il construit d'une certaine manière ce qui, dans le champ de l'observable, nous regarde nous fait signe.

Dire que l'espace est actif, ce n'est donc pas seulement comprendre comment la profondeur d'un champ de vision, la verticalité, la "mitoyenneté" sont constitutives de ce que Merleau-Ponty appelait la chair du monde.(...)

Considérer l'espace comme actif, c'est donc refuser de compter sur le seul registre des apparences, sur l'obsession de l'identité visuelle et sur la fatuité des façades pour faire travailler "le muscle de l'imagination".

Isaac Joseph, "L'espace public comme lieu de l'action" in La ville sans qualité, éditions de l'aube, 1998.

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mardi 2 novembre 2010

Puis, de côté sur le côté

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Rodtchenko pendant les prises de vues au Parc de la Culture (par Anatoli Skourikhine, 1932) / Boris Ignatovitch photographiant la parade des pompiers sur la place Rouge, 1932 / Rodtchenko au travail (par Eléazar Langman, 1930) / Le reporter Gueorgui Petroussov photographie la place Rouge, 1935 / La reporter Evguenia Lemberg photographiant au stade nautique Dynamo, 1932 / Rodtchenko dans la cour de sa maison, 1924.

"Est-ce que tu comprends maintenant que les angles de vue les plus intéressants pour la photographie contemporaine, c'est de haut en bas ou de bas en haut, et tous les autres, sauf le point de vue du nombril ?"

Alexandre Rodtchenko, 1928, Les voies de la photographie contemporaine in Ecrits complets sur l'art, l'architecture et la révolution, Paris, éd Philippe Sers, 1988.

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Photographies de Rodtchenko : Balcons, L'Immeuble de la rue Miasnitskaïa, 1925 / Gymnastique du matin sur le toit du foyer des étudiants, 1932 / Scierie Vakhtan, 1930 / Pionnier à la trompette, 1930 / Plongeon, 1932 / Echelle d'incendie, 1925 / Au téléphone, 1928 / Le déjeuner, 1932


lundi 25 octobre 2010

L'Image, Pierre Reverdy

L'Image - Pierre Reverdy - 1918
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Une suite de notes parue en tête de la revue Nord-Sud, n°13, mars 1918.
Revue dirigée par Pierre Reverdy.

Pour mieux connaître Pierre Reverdy :

PIERRE REVERDY

"Dans la vie, les choses ne sont pas ordonnées, on passe constamment du coq à l'âne. La technique de Reverdy, c'est celle du coq à l'âne, c''est celle de la discussion, c'est celle de ce qu'on voit quand on regarde. Le regard qui erre à travers l'espace et qui voit des choses diverses dont il fait une seule chose, dont il fait le paysage ou la phrase qui comporte des éléments disparates. Ce qui devait correspondre à une disposition naturelle, à une disposition du regard, de l'attention, du discours, la propension qu'il avait à passer d'une idée à une autre, finalement, il l'a mise sur le papier. Ce qui est rare et ce que l'on déconseille. A l'école on vous dit toujours de suivre votre idée et de vous y tenir. Lui, était l'homme du discours incohérent, c'est-à-dire l'homme de la réalité." Gil Jouanard

dimanche 24 octobre 2010

La ville , comme un film

Gabriel Orozco
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La proposition de certains étudiants du cours Picturedesiting d'organiser la 2ème Table de documents autour du travail de Gabriel Orozco, après avoir parlé des Déplacements de miroirs de Smithson à travers le Yucatan, est une très bonne idée. Orozco est d'abord un artiste toujours lui-même en mouvement qui tire subtilement ses oeuvres des lieux où il séjourne.

L'espace de l'exposition qu'il a monté à Beaubourg est directement en rapport avec les rues adjacentes. L'exposition, visible de l'extérieur, reste en prise avec l'espace urbain qui tient une place importante dans son travail. La ville, comme un film, appartient à l'exposition, les frontières entre l'art et les événements quotidiens sont questionnées.

A l'intérieur, de petits objets sont présentés sur des tables de marché conçues comme des tables de travail. Elles constituent autant d'entrées en matière, de maquettes pour la suite de l'exposition où d'autres objets, indépendants, au mur ou au sol, sont présentés comme une sorte de cartographie du travail, elle-même ouverte sur l'espace de la ville. Il y a un dialogue permanent entre l'intérieur et l'extérieur. A travers les vitres, comme sur un écran la rue interagit avec les objets.

Gabriel Orozco - Cats and Watermelons - 1993 (source, MoMA)

Mais personne ne vous introduira mieux au travail de Orozco que l'artiste lui-même, à Beaubourg avec la complicité de Jean-Pierre Criqui.

La rencontre est entièrement visionnable sur Dailymotion, ici, 1h37 de bonheur ! C'est long et ça en vaut la peine. L'artiste parle de son rapport à l'art, à l'espace public, les oranges, les cercles et la grille, les atomes et le vide nécessaire au mouvement, son désir de transmettre une expérience renouvellée avec les matériaux les plus divers, son intérêt pour le mouvement du cavalier aux Echecs et sa réfléxion sur le mouvement tridimentionnel, son refus du moule en sculpture et son rapport à la fonctionnalité des objets, le corps, sa vulnérabilité et sa puissance de transformation, pourquoi une photo avec le temps perd de son intérêt et comment un jeu de cercles imprimés à sa surface désigne et réactive le mouvement du sportif représenté ... jusqu'à la fin, où différence est faite entre faire de l'art et être dans une recherche où se constitue une expérience à travers l'exploration d'un matériau, "comment transposer une vraie activité du vrai monde sans tuer ce que vous transposez. g.o.". Un art libéré de toutes conceptions préalables et non assujetti au document. "L"art c'est 50% la volonté et 50% l'acceptation. g.o."

D'autres documents, visuels, audios et vidéos sur le site du Moma à partir de cette page.

Gabriel Orozco - Atomist :Making Strikes - 1996 (source, MoMA)

"L'idée de l'atome est devenue très importante pour moi et sans doute liée à une peur du mouvement perpétuel. Je me suis intéressé aux atomistes, aux atomes, au vide entre les paticules qui permet le mouvement. J'utilise les points et les couleurs présents dans l'image et je les imprime à la surface de la photo pour désigner et transcrire autrement le mouvement et que la photo garde son intérêt...

J'ai toujours aimé les photographies de sport mais la plupart deviennent ennuyeuses avec le temps. Je fais se chevaucher deux images de mouvement, d'un coté la photo de figures en mouvement de l'autre des formes géométriques qui ont un mouvement. L'intervention géométrique à la surface de la photo fait percevoir différemment le mouvement du corps montré sur la photographie. Je concilie et révèle ce mouvement et cette image à travers les motifs géométriques réalisés à la surface." Gabriel Orozco

mardi 12 octobre 2010

Le phénomène

William Klein - Tokyo - 1954

« Le problème, avec les individus de cette espèce, cʼest quʼon a tendance à les découper en tranches […]. Alors que, quel que soit lʼintérêt particulier du film, de la photo ou du tableau, le truc véritablement passionnant, le phénomène, cʼest la totalité de ces expressions, leurs correspondances évidentes ou secrètes, leur interdépendance, leurs rimes. Ce qui fait que ce peintre ne devient pas photographe, puis cinéaste, mais part dʼune seule et unique préoccupation – percevoir et transmettre – pour la moduler dans tous les états possibles de la représentation. Comme sʼil émettait un faisceau particulièrement intense dont des écrans de matières et de formes diverses nous décrivent, en sʼinterposant, le chiffre. Un laser de Brighton. »

Chris Marker, William Klein, Graphis, n° 33, mai-juin 1978, p. 495.

Chris Marker utilise un outil théorique : le phénomène pour parler du travail de William Klein. Cet outil, qui l'amène à considérer davantage des modulations à l'intérieur du travail que des formes ou des états successifs de la représentation, lui permet d'accéder à la consistance de la personne. On peut voir dans cet excercice qui consiste à percevoir le phénomène d'un individu, la capacité d'une pensée en mouvement à rencontrer une autre pensée en mouvement par le biais d'un jeu, d'un autre mouvement, que David Antin a appelé, dans un livre éponyme, le "tuning". On peut voir aussi le phénomène comme l'équivalent du film dont le mouvement, dans la durée, est toujours bien plus et bien autre que l'addition de ses photogrammes et même de ses plans. Quand Johan Van der Keuken sustitue le "cadre essayé" au cadre utile, ne cherche-t-il pas aussi cet accord avec le phénomène de l'évènement plutôt que la saisie arrogante d'une apparence ?

- La publication sur éditions papiers d'un essai de Arnaud Lambert, auteur de Also known as Chris Marker, Le point du jour éditeur

- Sur chrismarker.org, beaucoup de choses sur Chris Marker par exemple une fiction Phénomène (n.m.) qu'il a publié dans la revue Trafic en 1999

- Un entretien d'archive de William Klein dans l'émission Cinéma vif de la Télévision Suisse Romane, le 29 mai 1968 - Journaliste : Rodolphe-Maurice Arlaud - Réalisateur : François Bardet



samedi 9 octobre 2010

Le monde est le monde



Vues de l'exposition de Valérie Jouve, En attente, Centre Pompidou, Paris, 2010
Prises de vue par Julie Biesuz

"Le monde est le monde. Il est inséparable de toutes les notions qui le nourrissent, qui sont parfois contradictoires ou qui parfois se mélangent. J'essaie de poser un regard qui assume une mémoire, qui va au-delà de l'événementiel, qui atteint une dimension plus historique, qui atteint une histoire qui agit plus lentement.

J'ai réagit là-bas en pensant que je ne ferai rien parce que l'image ne pouvait pas. On est dans un tel écart entre ce que les medias nous donnent à voir d'un pays et la réalité de ce pays, qui vit au quotidien. Comment avec des images j'essaie d'aider à reconstruire, à porter cette identité-là qui fait qu'un pays existe aussi par un peuple, une histoire, une culture pas seulement par des territoires reconnus ou pas.

Avec l'exposition, je construis des liens d'une image à l'autre, mais ces liens, j'espère qu'ils mènent bien au-delà de ce que moi j'y ai mis de manière un peu rhétorique. Je m'aide d'éléments, disons, musicaux, de couleurs, de tonalités, d'énergies, qui d'une image à l'autre vont créer des résonnances. Il y a très peu de mots qui peuvent décrire ça, ni légende, ni titre, c'est simplement comme ça à un moment donné.

Comment essayer de mettre en place une expérience de l'image davantage physique que lisible. Je ne suis pas du tout dans la lisibilité. Je me bats avec ça et c'est assez dur parce que les gens malgré tout ont cette relation à l'image qui est une relation d'indexation: je reconnais une chose, d'où ça vient, ce que c'est. J'essaie d'être au plus loin de ce type de relation à l'image.

L'exposition est organisée autour de deux villes. Là, il y a une salle plus chaude, plus terrienne, dans des tonalités d'ocres et de bruns qui montre une ville à la lisière, pas du tout autonome, c'est Jérusalem Est, le début de la Palestine. Dans la deuxième salle quelque chose de beaucoup plus froid plus aérien, Naplouse, une ville assez loin dans le Nord.

J'ai travaillé selon des logiques, mais je ne veux pas en donner les clefs car donner les clefs de ce travail de fourmi que je fais dans mon atelier c'est alors redonner au spectateur la possibilité de lire cette exposition, dans une trajectoire très rationnelle. Et j'espère que l'image a encore cette dimension qui vient de l'inconscient, qui vient de l'imaginaire et qui fait que, les gens peuvent y projeter des choses très différentes. C'est ça qui m'intéresse dans l'image. "

Valérie Jouve (retranscription d'une partie d'un entretien sur France Culture)

Le site de Valérie Jouve,

Sa galerie à Paris,

Un entretien dans l'exposition En attente

Une interview

mercredi 6 octobre 2010

Sur le fond

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Sur le fond (l'écran) nous voyons trois types de projection, trois façons de considérer l'intériorité et de penser la "profondeur" d'une surface. (fg)

Caspar David Friedrich, Voyageur au-dessus de la mer de nuages, 1818.

" Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu'il voit en face de lui, mais aussi ce qu'il voit en lui ". Caspar David Friedrich (1774-1840)

Dennis Oppenheim, Stage Transfer Drawing Erik to Dennis Oppenheim, 1971

"A mesure qu'Erik passe un crayon le long de mon dos, j'essaye de reproduire ce mouvement sur le mur. Son action provoque dans mon appareil sensoriel une réponse cinétique. Erik dessine conséquemment par mon entremise. La différence entre les deux dessins s'explique par le retardement sensoriel ou la désorientation qui sont comme des composantes activées pendant ce processus. Du fait que je suis le père d'Erik et que nous partageons des éléments biologiques semblables, on peut considérer mon dos (en tant que surface) comme une version mature du sien. Dans un certain sens, il prend contact avec un état futur." Dennis Oppenheim

Luc Moullet, La cabale des oursins, 1991, film 16mm, 13 mn

"Dans le nord de la France, il y a des terrils formés par les déchets des anciennes mines. Un monde ignoré. (...) Souvent on ne trouve plus de chemin pour monter. Le terrain étant moins cher, les infrastructures modernes occupent les alentours. Lens, 40 000 habitants, avec ses grands terrils n'est même pas sur le guide Michelin. Nous n'avons trouvé qu'une carte postale avec terril. On les rase pour faire de grands ensembles...". Voix off de Luc Moullet au début du court métrage La cabale des oursins, 1991, 13 mn

Pour voir trois autres films de Luc Moullet :

Essai d'ouverture, 1988, 15 mn

Barres, 1984

Genèse d'un repas, 1988

lundi 27 septembre 2010

Cadre et cache

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" Nous savons depuis André Bazin que l'écran de cinéma ne fonctionne pas comme le cadre d'un tableau, mais comme "un cache qui ne montre qu'une partie de l'événement". L'espace du tableau est centripète, celui de l'écran est centrifuge.(...) Le champ visuel se double toujours d'un champ aveugle, la vision est nécessairement partiale, du moins toujours partielle. Les objets du cinéma se comportent comme le furet de la chanson : ils sont passés par ici, ils repasseront par là. Le suspense et l'érotisme trouvent ici leur pierre d'angle, pour d'évidentes raisons. (...)

Pascal Bonitzer