vendredi 18 décembre 2015

Dancer

Irving Penn, 1999, Dancer
Georges Braque, 1908, Grand Nu
En 1999, au cours de quatre séances de pose, réparties sur près de neuf mois Irving Penn photographia Alexandra Beller alors danseuse de la troupe de Bill T. Jones.

Les photographies se répartissent en trois séries.

Les deux premières séances, qui donneront la première série d'images,  ont lieu dans la pièce éclairée par la lumière du jour qu'affectionne le photographe. Irving Penn et Alexandra Beller apprennent alors à travailler ensemble. Dans ces photographies, l’artiste souligne les volumes géométriques du corps et l’ondulation des lignes de la silhouette. La danseuse y arque son dos dans des poses debout ou y plie sensuellement le corps dans des poses assises.

Dans la troisième et la quatrième séance de pose, Irving Penn change le décor, l’appareil, la toile de fond, la lumière, l’exposition et même les règles concernant les poses d'Alexandra Beller. Il passe d’un format 6×6 cm à une chambre 20×25 cm. Les photographies sont prises maintenant en studio. Là, Irving Penn utilise stroboscopes et autres luminaires conventionnels de studio, sans se soucier de lumière naturelle. Beller devient plus confiante aussi, et les poses en résultant n’en sont que plus dramatiques.

Irving Penn, 1999, Dancer
Ingres, 1860, Femme aux trois bras
Pour la troisième séance Irving Penn utilise le même rideau de théâtre vieillot que lors de ses portraits de Paris en 1949. Dans cet ensemble de photographies, la seule requête du photographe est qu’une partie du corps d’Alexandra Beller doit toujours toucher le rideau. Son poids la fait tomber en arrière, la projette en avant, pliant et dépliant le rideau selon des motifs variables qui mettent en relief la puissance de ses jambes et de ses épaules. Son visage demeure invisible durant ce qui semble être une lutte contre une force invisible. Irving Penn a choisi une lumière plus dure pour cette série, et en réglant son flash à un centième de seconde, il met en relief les mouvements de Alexandra Beller et sculpte son corps avec l'ombre.

Pour l’ultime séance, Irving Penn remplace le rideau du fond par une peinture gris pâle. Il demande à Alexandra Beller de toujours garder un pied au sol tout en bougeant. Réglant l’obturateur à trois secondes, les mouvements de la danseuse n’en sont que plus flottants sur le film. Le corps lourd et musclé devient fluide et transparent, prêt à l'envol.

Irving Penn, 1999, Dancer
Gustave Courbet, 1853, Les Baigneuses
Irving Penn, 1999, Dancer
Pablo Picasso, 1922, Deux Femmes courant sur la plage

mercredi 2 décembre 2015

Polaroïds (1) Walker Evans

Walker Evans, Polaroïds 8 x 8 cm, Paintbox1973-74 
Sign Lettering: "FOR", 11 août 1974
Newspapers on Stand, New Haven, Connecticut, 11 novembre 1974, 
Street Arrow1973–74
C'est à travers les rendus incertains du polaroïd que Walker Evans abordera la couleur. Etranges objets que ces photographies de quelques centimètres de côté qui semblent faire le lien, dans le temps, entre les précieux daguerréotypes et la peinture pop.

Walker Evans, polaroïds 1973–74

Je me suis maintenant saisi de ce petit appareil, le SX-70, pour m'amuser, et ça m'intéresse beaucoup. Je m'en sers frénétiquement. Il y a un an, je vous aurais dit que la couleur était vulgaire et de ne jamais l'utiliser en aucune circonstance. Paradoxalement, on m'associe maintenant à elle et en fait, j'ai l'intention de la traiter sérieusement. Walker Evans  
 
Walker Evans, Polaroïds 8 x 8 cm, Shovel, 1 octobre 1974
Detail of Wood Grain, September 15, 1974
Street Arrows, 15 décembre 1973
Detail of Parking Lot Office Door, 24 septembre 1974
À sa mort en 1975, Walker Evans laisse environ 2500 polaroïds. Il commence à travailler avec l'appareil Polaroïd SX-70 en 1973. Le fabricant lui fournit alors les packs de films à volonté. Les caractéristiques de cet appareil, sorti en 1972, conviennent parfaitement à la vision précise et concise de Walker Evans. Les impressions instantanées étaient alors pour le photographe de soixante-dix ans, ce que les ciseaux et les papiers découpés furent pour Matisse. Ces polaroïds sont ces dernières photographies, l'aboutissement d'un demi siècle de travail. En utilisant le SX-70 et en laissant de côté les subtilités de la technique photographique, Walker Evans à porté la photographie à l'essentiel : voir et choisir.

Walker Evans, Polaroïds, Janet Byrd, Oberlin College, 22 janvier 1974
Bobbi Carrey, 1974
Virginia Hubbard, Destin, Florida, 1973–74
Nancy Shaver11 décembre 1973
Pour un photographe pragmatique cet appareil constitue un prolongement entièrement nouveau. Vous photographiez des choses que vous n'auriez jamais penser photographier avant. Je ne sais même pas encore pourquoi, mais je me sent rajeuni avec lui. Avec ce petit appareil votre travail est fait au moment où vous appuyez sur le bouton. Mais vous devez penser à ce qui se passe là-dedans. Vous devez avoir beaucoup d'expérience et d'entraînement et de la discipline derrière vous. (...) C'est la première fois, je crois, que vous pouvez mettre une machine dans les mains d'un artiste et qu'il puisse alors entièrement se fier à sa vision, à son goût et à sa pensée. Walker Evans

Walker Evans, Polaroïds, Street Lettering: "ONLY", 1973–74
Kitchen Utensils Hanging on Wall, 26 décembre 1973
Detail of Sign Lettering: "TO", 12 août 1974
Je ne cherchais rien, les choses me cherchaient, je le sentais ainsi, elles m’appelaient vraiment.
Walker Evans.


Walker Evans, polaroïds 1973–74