samedi 28 mars 2015

Robe-photos

Anaïs Bobin, 15 décembre 2014
Dans l'accrochage Picturediting du 15 décembre 2014, Anaïs Bobin a porté une robe-photos. Elle déambulait dans l'espace de la galerie guidée par la résonnance des sons de son téléphone portable. Faisant corps ici-même avec son propos photographique : l'accoutrement des corps et leur parade erratique dans les espaces néo-urbains.  Son corps en mouvement retourne les fonctions de l'architecture. "J'étais vue par le blanc des murs". Pure palpitation sous le feuilletage des images, elle a quitté l'assurance que procure le contrôle visuel. L'œuvre comme acte : "Vous que je supporte." Pellicule, surface sensible, épiderme reconstitué, fagotage attentif, elle exhibe et anime les images fétiches de sa propre tribu. Que doit-on faire de ses feuilles de papier, peut-on les mettre en mouvement ? C'est mon souffle qui les soulève.

Toutes les photos de l'accrochage Picturediting du 15 décembre 2014 à L'Institut Supérieur des Arts de Toulouse : ici


Anaïs Bobin, 15 décembre 2014
Atsuko Tanaka, robe électrique,1954
Hélio Oiticica, Parangolé, 1964

Robert Morris, costume pour War, performance avec Robert Huot, 23 juin 1963
Anaïs Bobin, 15 décembre 2014

jeudi 12 mars 2015

et généreuse


Lee Friedlander, série The New Cars, 1963

Je voulais seulement Oncle Vern debout à côté de sa nouvelle voiture (une Hudson) par une claire journée. Je l'ai eu, lui, et sa voiture. J'ai eu aussi un peu de la lessive de Tante Mary et Beau Jack, le chien, en train de pisser sur une clôture, et une rangée de pots de bégonias sur la véranda et soixante-dix-huit arbres et un million de cailloux dans l'allée et d'autres choses encore. C'est un médium généreux, la photographie. 
Lee Friedlander, extrait de An excess of fact, in The Desert Seen, 1996

Il faut tout photographier jusqu'à l'opacité de la surface photographique.

dimanche 8 mars 2015

Transparente

Dieter Appelt, Autoportrait au miroir, 1978
La photographie est le plus transparent des médiums artistiques inventés ou découverts par l'homme. C'est sans doute la raison pour laquelle il est si difficile pour l'image photographique de transcender son statut presque inévitable de document et de fonctionner aussi comme oeuvre d'art.
Clement Greenberg

...même si l'artefact photographique possède une surface (il n'est, en un sens, que surface), le spectateur  cherche toujours à "traverser" cette surface, ou, plus exactement, à "passer outre", afin d'atteindre la description elle-même. Cette caractéristique sépare clairement la photographie de la peinture, dont la surface matérielle non seulement se rend intensément présente au regard du spectateur (loin d'être transparente, elle est "opaque"), mais encore s'offre au peintre comme élément à souligner, à articuler, à thématiser selon un nombre infini de modalités.

(...) Un autre effet de la transparence photographique est de mettre hors jeu la surface matérielle comme réceptacle de la signification iconique, et c'est là une perte significative dont les enjeux restent à évaluer.
Michael Fried, Pourquoi la photo a aujourd'hui force d'art, 2013, Hazan

Giuseppe Penone, Souffle 6, 1978, Terre cuite
158 x 75 x 79 cm
Gottfried Jäger, 1983VIII12, 1983
Gilberto Zorio, Per purificare le parole, 1969
Il faut redonner à la surface de la photographie une signification iconique.

lundi 2 mars 2015

Table, Cosmos et Miroirs

Runa Islam, Be the first to see what you see as you see it, 2004, film 16mm
Robert Fludd, Et sic in infinitum, 1617
J. John Priola, Dish Towel, 1995, 61 X 50 cm
Photographie de Isaac Zelensky défiguré par Alexandre Rodchenko en 1937

Une table est un dessus

Une phrase n'a pas d'envers
une photographie est sans dos 

Une enveloppe contient une lettre
ma voix est détimbrée 

La perspective dit
une face est cachée 

Tu parles de Tombeaux
semblables à des patères
de plaques en verre bleu sur un mur 

La perspective dit derrière
il y a quelque chose 

Elle dit
quelqu'un est loin 

Emmanuel Hocquard, Théorie des Tables, 1992, P.O.L.

Jean-Philippe Charbonnier, The Black Bag, Roubaix, 1958
James Welling, Polaroid Drapes, 1988 polaroid prints, 4 x 5 inches

A cela s'ajoute une distraction croissante. Rien d'étonnant : une concentration excessive sur un seul objet provoque la distraction; cet unique objet masque tout le reste, en fixant un point de la carte nous savons que tous les autres nous échappent. Moi, l'esprit fixé sur le jardin, sur le ciel, sur la dualité des bouches, je sais, je sais que quelque chose m'échappe, quelque chose d'important...

... et je me mets, malgré moi, à chercher des figures, des rapports; je n'en ai pas envie, je me sens fatigué, impatienté, énervé, jusqu'à ce que je discerne que ce qui m'attire, ou ce qui m'enchaîne peut-être, c'est qu'une chose soit "derrière", "au-delà" : un objet est "derrière" un autre... 

à partir de Witold Gombrowicz, Cosmos, 1966, Denoël


Denis Dailleux, Les martyrs de la révolution, 2014

XXXIX 

— Ecoute.
— Quoi donc ?
— Parfois, j'ai peur de ton silence. Comprends : ce n'est pas une absence momentanée, une pause. C'est bien comme si tu t'engluais dans ta propre présence, comme si tu refusais soudain de respirer.
— Devrais-je parler, malgré tout ?
— Peut-être devrais-tu parler en effet, quitte à mentir. 

Marcel Cohen, Miroirs, 1980, Gallimard