dimanche 12 septembre 2021

I Have Decided

Keith Arnatt, I Have Decided to Go to the Tate Gallery Next Friday, 1971
À un moment où il est établi que l'artiste est avant tout celui qui décide, qui choisit et qu'une décision peut valoir comme œuvre, Keith Arnatt interroge la notion de décision. Il paraît lui-même très capable de prendre certaines décisions : "I Have Decided to Go to the Tate Gallery Next Friday" et ce faisant de proposer très simplement une œuvre à part entière, conceptuelle, associant texte et photo et impliquant le lecteur-spectateur dans une construction mentale élaborée. 

Le texte suit, par bribes, la pensée de 3 philosophes, pour tenter de définir l'intention dans ses rapports à la décision, à l'action et à la vérité. Il s'avère que la décision en tant qu'acte n'existe pas et qu'un homme peut mentir sur ses intentions (ou être insincère) mais pas se tromper à leur sujet. 

La photo semble être un constat, nous voyons l'artiste, nonchalamment gravir les marches du musée. Nous sommes donc vendredi prochain. Le texte, lui, est daté du 26 mars 1971. Il se trouve que le 26 mars 1971 était un … vendredi. La photo (si l'artiste est sincère) a donc été prise le 2 avril 1971. 

À la même époque il réalise la pièce "Art as Act of Omission" à partir d'une citation du philosophe Éric d'Arcy. Il s'y demande, l'art étant une action attendue qui n'a pas été réalisée, comment cette omission particulière affectera-t-elle globalement nos vies ? Comme d'autres de ces pièces, "Art as Act of Omission" prendra plusieurs formes : affichage mural, carte imprimée envoyée à des amis, reproduction dans un magazine d'art, etc. 

On remarque que "I Have Decided to Go to the Tate Gallery Next Friday" qui débat avec tant de précision sur les mots commence justement par …l'omission d'un mot. Le mot "vendredi" : vendredi 26 mars 1971. Dès que l'on rétablit ce mot, le sens de la déclaration se transforme, ou se complète. "I Have Decided not to Go to the the Tate Gallery this Friday." Et l'action (déjà différée) se transforme en inaction. 

Comment interpréter alors la photographie, est-elle vraiment prise dans une logique d'action (un constat), ou bien vient-elle contrarier cette logique, montrer une sorte d'impassibilité hors de tout lien de cause à effet ? N'est-ce pas vraiment la photo d'une intention ? Une image pensive

Est-il possible pour moi de ne rien faire comme contribution à cette exposition ? demandait Keith Arnatt, en 1970, comme contribution dans le catalogue de l'exposition Idea Structures au Camden Arts Center. (fg)

Keith Arnatt, I Have Decided to Go to the Tate Gallery Next Friday, 1971 (détail)
Keith Arnatt, I Have Decided to Go to the Tate Gallery Next Friday, 1971, Studio International

« Décider d'effectuer une action X, c'est en partie accomplir une intention de faire X. Une condition nécessaire pour que l'agent décide à l'instant t1 de faire X à l'instant t2 est que l'agent n'ai pas eu l'intention de faire X pendant une certaine période de temps précédant t1. Une seconde condition nécessaire pour qu'il ait décidé à t1 de faire X à t2 est qu'au cours d'une période de temps postérieure à t1 il ait l'intention de faire X à t2. Mais ces conditions nécessaires ne constituent pas ensemble une condition suffisante pour décider de faire X. Car un agent peut très bien arriver à t1 pour avoir, et peut continuer pendant un certain temps à avoir, l'intention de faire X en t2 sans jamais décider de faire X à t2. Quelles autres conditions la formation d'une intention doit-elle remplir pour que l'on considère cette formation d'une intention comme une décision ? »* 

« Décider de faire X semble être étroitement lié à la délibération. Il semble que rien ne puisse être considéré comme une décision de faire X sans que l'agent n'ait délibéré à propos de faire X. Il est donc possible que les trois conditions suivantes : (1) les deux conditions nécessaires pour décider de faire X mentionnées dans le paragraphe ci-dessus ; (2) l'agent a délibéré à propos de faire X ; (3) l'agent a formé l'intention de faire X après avoir délibéré de faire X, soit chacune une condition nécessaire et forment ensemble une condition suffisante pour que l'agent ait décidé de faire X. »* 

« La seule étape pour décider est la formation d'une intention après la délibération. Entre la délibération et la formation de l'intention, il n'y a pas d'étape supplémentaire appelée « décision » qui serait distincte de la formation de l'intention et qui provoquerait ou aboutirait à la formation de l'intention. Décider de faire X est identique à la formation d'une intention de faire X. »*  

La déclaration « J'ai décidé d'aller à la Tate Gallery vendredi prochain » serait alors, dans ce contexte, synonyme de la déclaration « J'ai l'intention d'aller à la Tate Gallery vendredi prochain ». C'est l'expression d'une intention où l'intention formée est le résultat d'une délibération. Meiland dit que les déclarations de la forme « J'ai l'intention ... » sont soit vraies, soit fausses. »* Si je dis que j'ai l'intention de faire X et que j'ai effectivement l'intention de faire X, alors ma déclaration d'intention est vraie ; si je n'ai pas l'intention de faire X, ma déclaration d'intention est fausse. Cependant, certains philosophes diront que les déclarations de fait diffèrent, en ce qui concerne certains traits logiques, des déclarations qui expriment l'intention ; ils diront que les déclarations exprimant une intention sont soit sincères, soit non sincères.  

« Si un homme prononce sincèrement une déclaration qui ne correspond pas aux faits, alors il se trompe ; s'il prononce... l'expression d'une intention, alors on ne peut pas dire qu'il se trompe uniquement parce que les faits ne concordent pas avec sa déclaration.»**  

« L'expression d'une intention sous la forme d'une déclaration sur l'avenir est condamnée comme mensonge non pas simplement parce qu'elle ne se réalise pas (même si la non-réalisation est volontaire), ni même simplement parce que l'auteur ne souhaite pas la voir se réaliser ; mais uniquement au motif que l'expression de l'intention n'est pas signifiée. »** 

« Nous arrivons aux limites du concept d'intention lorsque nous réfutons la déclaration d'intention d'un homme en l'appelant — peut-être en plaisantant, et sauf cas très spécial — un menteur ; car, d'ordinaire, dans la plupart des cas, nous n'envisageons pas qu'un homme se trompe, ni même puisse se tromper, sur ses intentions. Mais un autre trait propre au concept d'intention est qu'un homme puisse y mentir. »***

*Jack W. Meiland, The Nature of Intention, 1970 

**A. Kenny, Action, Emotion and Will, 1963 

***Brice Noel Flemming, On Intention, Philosophical Review, Vol. LXXIII, 1964

Keith Arnatt, Art as an act of Omission, 1971

L'art comme acte d'omission 

On dit qu'une personne a omis X si, (1) il n'a pas fait X, et (2) X était, d'une certaine manière, attendu de lui. 

… Bien que ce soit sur ce point de "l'attendu" que les omissions semblent se démarquer d'autres non-faits, certaines déclarations de non-fait se réfèrent à des actions tellement inattendues qu'elles ne peuvent être considérées comme non-faites que dans le sens le plus artificiel.* 

*Eric D'Arcy, Les actes humains - Essai sur leur évaluation morale 

Si l'art est ce que nous faisons et la culture ce qui nous est fait — qu'est-ce que la culture pourrait nous faire si l'art est ce que nous n'avons pas fait ?