lundi 30 janvier 2012

Avec mon couteau


Différents appareils de Miroslav Tichy
"Avec mon couteau, j'ai découpé une lentille dans du plexiglas, je l'ai polie."

Photographies Miroslav Tichy
"Je ne sélectionne rien du tout. Je mets un rouleau dans l'agrandisseur, je le fais défiler et je tire ce qui ressemble vaguement au monde. Mais qu'est-ce que le monde ? Le monde, c'est tout ce qui existe."
Chaque tirage était une pièce unique réalisée exclusivement pour l'artiste. Il découpait un morceau de papier photographique avec des ciseaux ou, bien souvent, le déchirait à la main. Puis il le posait sur la table à la lumière et, quand il estimait qu'il avait été suffisamment exposé, il l'enlevait pour le plonger dans le révélateur. Ensuite, il le laissait toute une nuit dans le fixateur, dans une baignoire installée dans la cour. Sans jamais utiliser de pinces, il prenait toujours les tirages à pleines mains, ce qui explique les traces de doigts visibles dans l'angle supérieur droit de certaines de ces photographies (ou même la trace de toute une main quand il oubliait de lâcher le papier avant de l'exposer). Lorsque les tirages avaient séjourné assez longtemps dans le bain d'eau, il les en sortait, les faisait sécher sur le fil à linge, puis les glissait entre les pages d'un livre pour les presser. Enfin, il rangeait les photographies dans une grande boîte auprès de son lit, afin qu'elles soient toujours à portée de main. Ainsi s'achevait la première phase du tirage.
Extrait du texte de Roman Buxbaum dans le catalogue Miroslav Tichy du Centre Pompidou, Paris 2008

William Wegman, Knife in the water, 1972

mercredi 11 janvier 2012

L'objet et la Chose (2)

Structures de boîtes d'allumettes, Lygia Clark, 1964

Pendant la grande époque de pénitence qu'a traversé notre pays sous l'ère pétainiste, au temps de travail-famille-patrie et la ceinture, je fus rendre visite, à Saint-Paul de Vence, à mon ami Jacques Prévert et j'y vis ceci dont je ne sais pourquoi le souvenir a resurgi dans ma mémoire, qui est d'une collection de boîtes d'allumettes. C'était, vous le voyez, une collection qu'on pouvait facilement s'offrir à cette époque. Je veux dire que c'est même tout, peut-être, ce qu'on avait à collectionner. Les boîtes d'allumettes se présentaient ainsi, elles étaient toutes les mêmes et disposées d'une façon extrêmement agréable, qui consistait à ce que chacune étant rapprochée de l'autre par un léger déplacement du tiroir intérieur, elles s'enfilaient les unes les autres, formant comme une longue bande cohérente, laquelle courait sur le rebord de la cheminée, était capable ensuite de monter sur la muraille, d'affronter les cimaises, de redescendre le long d'une porte. Je ne dis pas que cela allait ainsi à l'infini, mais c'était excessivement satisfaisant du point de vue ornemental. Je ne crois pas pourtant que ce fut là le principal et la substance de ce qu'avait de surprenant ce collectionnisme et la satisfaction en particulier que pou­vait y prendre celui qui en était le responsable. Je crois que le choc, la nou­veauté, l'effet réalisé par ce rassemblement de boîtes d'allumettes vides, ceci est absolument essentiel, était de faire apparaître ceci auquel nous nous arrêtons peut-être trop peu, c'est qu'une boîte d'allumettes n'est pas du tout simplement un objet, mais qu'il peut en tout cas, sous cette forme, Erscheinung, apparition, telle qu'elle était proposée, dans sa multiplicité, vraiment imposante, être une Chose. Autrement dit, que ça tient en soi-même. Qu'une boîte d'allumettes ce n'est pas simplement quelque chose avec un certain usage, que ce n'est même pas au sens pla­tonicien un type, la boîte d'allumettes abstraite. Que la boîte d'allumettes toute seule est une Chose, avec sa cohérence d'être, et que c'est ici, dans ce caractère complètement gratuit, proliférant et superfétatoire, quasi absurde, sa choséité de boîte d'allumettes qui était bel et bien visé comme quelque chose qui, dans l'absurdité du moment, donnait certainement au collectionneur sa raison dans ce mode d'appréhension de quelque chose qui était moins important pour lui comme boîte d'allumettes que comme cette Chose qui subsiste dans une boîte d'allumettes, que quoi qu'il arrive, et quoi qu'on fasse on ne trouve pas ailleurs indifféremment dans n'im­porte quel objet. Car, si vous y réfléchissez, la boîte d'allumettes est quel­que chose qui se présente à vous sous une forme vagabonde de ce qui pour nous a tellement d'importance que de pouvoir prendre même, à l'occasion, un sens moral, et qui s'appelle le tiroir; que la boîte d'allu­mettes n'est certainement pas quelque chose qui soit indigne de remplir éventuellement cette fonction.

Car, plus encore, si l'on peut s'apercevoir à cette occasion que ce tiroir libéré, et non plus pris dans l'ampleur ventrale, commode, ce fait est quel­que chose qui se présente avec un pouvoir copulatoire dont précisément l'image qui nous était dessinée par la composition prévertienne était là tout à fait destinée à la rendre à nos yeux sensible.

Eh bien, ce petit apologue de la révélation de la Chose au delà de l'ob­jet vous montre évidemment une des formes, en tout cas la plus inno­cente, de la sublimation. Peut-être pouvez-vous y voir pointer en tout cas, et sous une forme qui n'était peut-être pas celle qu'on peut attendre d'abord, en quoi, mon Dieu, la société peut s'en satisfaire. Si c'est une satisfaction, dans ce cas en tout cas, c'est une satisfaction qui ne demande rien à personne.

Jacques Lacan, séminaire 1959-1960, L'Ethique de la psychanalyse

mardi 10 janvier 2012

Workshop avec Paul Pouvreau. L'objet et la Chose (1)

accrochage à la fin du workshop, Photo Liis Lillo, 2011

accrochage à la fin du workshop, Photo Liis Lillo, 2011

Du 21 au 25 novembre 2011, Paul Pouvreau a proposé aux étudiants du cours de photographie un travail autour de l'objet. Travail en deux temps au cours duquel l'objet a été le point de passage entre la figure humaine et l'espace architectural.

C'est un court passage du séminaire VII de Lacan : L'Ethique de la psychanalyse qui a servis de départ au travail. Lacan y décrit une visite dans l'atelier de son ami Jacques Prévert.


accrochage à la fin du workshop, Photo Léa Pagès, 2011

accrochage à la fin du workshop, Photo Léa Pagès, 2011

accrochage à la fin du workshop, Photo Liis Lillo, 2011

Les photos de l'accrochage et de l'exposition se trouvent :


fin du workshop avec Paul Pouvreau, Photos Goria, 2011