vendredi 27 avril 2018

Quelque chose noir

Alix Cléo Roubaud, Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration,  Saint Felix, 1980 (prise de vue) ; Paris, 1981 (tirage), épreuve argentique
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Tiré épreuve des cyprès de St Felix.Prise la nuit avec ouverture de 10-15 minutes.Légère oscillation de bas en haut de l'appareil due sans doute à ma respiration.quinze minutes la nuit au rythme de la respiration       faire la tour Eiffel ainsi… envie de boire et boire comme à peu près toujours.que faire.

Alix Cléo Roubaud, Journal, 20.XI.80


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Art de la vue

La netteté, la décision extrême de l'intention visuelle

Sans aucun doute cette absence d'hésitation est liée à l'ubiquité photographique, qui fragmente chaque mouvement en une séquence de gels

Mais du froid de l'immobilité acquise dans le sel la chaleur du corps solarisé s'évapore comme la sueur brumeuse au dessus des chevaux dans l'hiver new-yorkais de Stieglitz

D'un côté le littéral, l'absolutisme maniériste, les rayons lumineux conduits, forcés comme, à l'écrire

De l'autre, sur fond minimal géométrique (donné) le geste de tenir l'appareil sur la poitrine (contre le cœur, les seins) la pose nocturne interminable, aux seules étoiles, "quinze minutes la nuit au rythme de la respiration"

Image avalée par le souffle

Il n'y a pas la moindre peur dans ces regards

Jacques Roubaud, Quelque chose noir, 1986


"J'ai un vieux Kodak, il est posé à côté de mon lit. La nuit, quand j'entends un son, tac, j'appuie sur le déclic. Ça fait des photos toutes noires."
 

Robert Pinget, Mahu ou le matériau, 1956

(Je remercie Hervé Laurent de m'avoir offert, il y a bientôt trente ans, ces photos-sons de Pinget et ce temps, qu'il a appelé le "temps du bruit", qui n'a cessé depuis de m'occuper.)

Françoise Goria, Glacis n°214R3120, 9 photos argentiques sur papier baryté montées sur aluminium, 150 X 150 cm

dimanche 1 avril 2018

Photo fraîche

Rozenn Veauvy, 2014
Rozenn Veauvy photographie la table de prise de vue vide au studio photo. Elle en réalise le tirage en grand format qu'elle installe au mur. Le tirage prend la forme arrondie de la table photographiée. Puis elle fixe un poisson sur le tirage. J'allais dire "un poisson vivant". Mais non. Le poisson date de quelques jours, il a été congelé et maintenant lentement, pendant toute la durée de l'exposition, il dégèle, il coule, il sent.

La photo est le contexte du poisson et de tout ce qui se passe, plus ou moins visible, dans un corps qui se délite. Comme un poisson dans l'eau ! Comme un poisson dans l'image ! Quelle aisance ! Oui mais une aisance contrariée : à l'arrêt, fixe.

Ici, c'est le spectateur, qui fait l'eau. (reflets)

Un poisson vivant n'est jamais visible "à l'air libre" sinon dans les convulsions horribles que nous observons dans les bacs de certains poissonniers. La photo comme "bac tranquille" est un contenant. Le poisson y est allongé à la vue de tous, pendant un certain temps il restera fidèle à son image. Photo fraîche !