lundi 18 avril 2016

Instantanés (Image-mouvement)

Barry Frydlender, Raid, 2003
Barry Frydlender, Shirat Hayam, 2005
Chaque photographie de Barry Frydlender est une image composite de plusieurs centaines d'images numériques prises à des intervalles  de quelques minutes, quelques heures ou parfois quelques jours. Un travail énorme, de manipulation numérique est nécessaire pour fabriquer ces tirages de grand format devant lesquels le visiteur fait l'expérience troublante de retrouver les mêmes personnes dans des attitudes, dans des espaces et des temps différents.
Le travail de Barry Frydlender s'oppose à l'idée qu'une photographie, en une fraction de seconde puisse capturer quelque réalité visuelle. La perception humaine s'avère beaucoup plus complexe. Le coeur de notre expérience quotidienne ne peut être capturée de manière convainquante par des photographies, coupes terriblement fragiles dans le monde visuel ; ni même dans une image-mouvement qui toujours se perd dans l'accumulation du mouvement. Barry Frydlender résoud ce problème en combinant l'image fixe à l'image-mouvement. Par le montage de 'coupes temporelles' prises à des moments différents, il 'élargit' son image dans le temps. 

Johann Link, Instantané, 1890 -  Thomas Eakins, Etude de saut, chronophotographie sur plaque fixe, 1884





Le mouvement a donc deux faces, en quelque sorte. D'une part il est ce qui se passe entre objets ou parties, d'autre part ce qui exprime la durée ou le tout. Il fait que la durée, en changeant de nature, se divise dans les objets, et que les objets, en s'approfondissant, en perdant leur contours, se réunissent dant la durée. On dira donc que le mouvement rapporte les objets d’un système clos à la durée ouverte, et la durée aux objets du système qu’elle force à s’ouvrir. Le mouvement rapporte les objets entre lesquels il s'établit au tout changeant qu'il exprime, et inversement. Par le mouvement, le tout se divise dans les objets, et les objets se réunissent dans le tout : et, entre les deux justement, “tout” change. Les objets ou parties d’un ensemble, nous pouvons les considérer comme des coupes immobiles ; mais le mouvement s’établit entre ces coupes, et rapporte les objets ou parties à la durée d’un tout qui change, il exprime donc le changement du tout par rapport aux objets, il est lui-même une coupe mobile de la durée. 
Gilles Deleuze, L'Image-mouvement, 1983, Editions de Minuit