mardi 23 mars 2021

Point de vue sur & point d'observation dans

Une caméra est un outil de prise de vue. Un casque de réalité virtuelle est un outil de visionnage. La première est une machine optique, la second un écran (deux exactement). L'une connecte à l'environnement, l'autre isole. Voilà pour le pas de deux. L'opérateur, isolé ou connecté, est dans le monde réel avec tous les autres et rien n'empêche de le regarder faire les images qui l'occupent. 

Tel un marionnettiste, le dessinateur en réalité virtuelle tire les fils de son dessin, pour nous invisible. Totalement investit dans le déplacement de son "point d'observation" et l'implantation de ses formes dans un champ sans localisation. Ce machiniste est antigravitationnel, en contact avec le sol, à minima, dans un espace qu'il a, au préalable, strictement délimité autour de lui, il se déplace dans l'image qu'il construit, avec les bras, des mouvements de tête et de petites pressions des doigts sur les molettes et boutons des manettes. Il est, en quelque sorte, devenu plante. Victoire sur le soleil, il s'anime des seuls éclats qu'il allume dans l'espace clos accroché à ses yeux. Ce nageur ! 

Il évolue dans une image grâce à un appareil maniable. Ses mouvements dans ce monde imaginaire sont très différents de ceux que je le vois exécuter dans l'espace réel du studio où nous sommes. Je pense à l'expérience du bouquet renversé évoquée par Lacan. Une expérience de physique amusante dans laquelle un sujet voit un objet constitué d'un vase réel et d'un bouquet imaginaire obtenu par réflexion dans un miroir concave. Dans le rapport de l'imaginaire et du réel et dans la constitution du monde telle qu'elle en résulte, dit-il, tout dépend de la situation du sujet. Il doit trouver ce point capable où tout se combine et s'articule. Alors, il est où ce "je" ? cette puissante d'énonciation et de combinaison. Elle ne voit que l'image qu'elle fait. Moi je ne la vois qu'ici dans sa danse des manettes. 

Serait-il possible que dans un "nous" (elle et moi) puisse apparaître le réel mais disjoint, déplacé, discontinu, dissymétrique, boiteux. Un nouvel ordre des choses qui auraient mal tourné, qu'on approcherait par une vision de loin et de biais. La seule vision utile quand il s'agit de repérer un objet dans une quasi-obscurité, la vision nocturne que recommande Clément Rosset. Dans l'espoir de voir apparaître quelque chose, on regardera sans aucune intention, voire on ne regardera pas du tout pour que ça se livre à notre attention distraite c'est-à-dire à notre parfaite inattention. Car le réel est ici mais n'apparaît qu'ailleurs.

Gestes et Gestures dans le trouble lors du workshop, base d'échange et fabrique collective donné à l'isdat par David Legrand en mars 2021. Avec Dimitra Agnantaiou, Emma Bouzeid, Lise Coti, Lorane Gérard Roche, Solange Guiraud, Ylan Laserre, Atéa Lefaisant, Alice Molet, Laurianne Rolo, Coline Sinica. 

Les films réalisés pendant les 3 workshop "Vivre le trouble" sont ici, ici et ici