mercredi 27 juillet 2011

Sculpteur d'Histoire(s)

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Pascal Convert - La Madone de Benthala - 2001-2002;

Photographies de Hocine Zaourar.

Pascal Convert a travaillé à partir de trois photographies, qui, au delà des fait tragiques dont elles témoignent, ont démontré une capacité à faire entendre une cause en résonnant avec d'autres images appartenant elles, non au reportage mais à l'histoire de l'art.

Son travail a deux faces :

1-Les documents qu'il rassemble avec des théoriciens, avec les auteurs des images..., documents qui précisent le contexte de fabrication, de diffusion, de réception de ces photographies, documents qui écrivent l'histoire des photographies. Circulation des idées, des faits, des personnes, des images, d'une part. Circulation impliquant des changement de contextes, des déplacements physiques et intellectuels. Travail d'arpenteur.

2-Les bas-reliefs en cire qu'il a réalisés en collaboration avec deux sculpteurs du Musée Grévin. En passant de l'image au bloc, en faisant transiter l'image par des figures de terre, il y assigne une place aux corps.Traversée définitive d'autre part, par la restitution sculpturale du moment précis où l'image traverse le mur. Trouée. Ou apparition, pur fait du voyeur (viewer) capable, mental, d'inverser le creux d'une forme encore prise dans son moule pour la faire basculer, facile, dans la réalité tangible.

"Je crois que ce qui m’a porté vers ces images-là, c’est leur profonde humanité, tout simplement. Et c’était cette évidence-là que je cherchais dans les images, j’aime la peinture, la sculpture, non pas comme savoir ou comme connaissance, j’aime pour le sentiment, pour l’humanité qu’elles ont. Quand je rentre dans un musée, que je vois un Titien, un Vélasquez ou un Caravage, je les vois comme des amis. Je ne les vois pas comme des objets, je les vois comme des amis qui me racontent des histoires. Ces photographies me racontaient des histoires. Et elles sont devenues des amies, et les gens qui les ont faites sont devenus mes amis..." Pascal Convert

Le film sur la Madone de Benthala (en quatre parties)

La Madone de Benthala dans la presse

La fabrication de la sculpture

Le site de Pascal Convert : à explorer

Pascal Convert, “Pieta du Kosovo“, Cire, résine et cuivre, 224 x 278 x 40 cm.

Jean Marais dans Orphée de Jean Cocteau, 1950.

jeudi 21 juillet 2011

Il me plaît

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Pater, le dernier film d'Alain Cavalier, est un étonnant objet de cinéma qui se joue de toutes les dualités, père et fils, jeu et réalité, art et vie, président et garde du corps, cuisine et bureau, documentaire et fiction, filmeur et filmé, personnage et personne, acteur et spectateur, passé et présent, vrai et faux, répétitions et improvisations, quartier et quartier général, le boulanger et le basketteur. Si on les énumère c'est pour contenir la jubilation qui nous a gagné lors de la projection. Tant de grâce.

Pater est une économie. Les choses y ont un prix. C'est sans doute parce qu'elles ont un prix et qu'il est énoncé, qu'elles sont à l'écran, comme une sorte de lest malicieux à tout ce qui, impondérable, crée et lie des situations libres, audacieuses et amicales glissant nature d'un registre à un autre.

Si la fiction est dans le film et le film qui se fait, dans la vie de ceux qui le font alors, la fiction peut passer dans la vie et vice versa.

"Si c'est un film, c'est que c'est vrai." dit Vincent Lindon.

Voici la note d'intention écrite par Alain Cavalier en lieu et place de scénario :

Pater
1

Dieu le père, d'abord. / Enseigné au pensionnat religieux. / Par des prêtres que j'appelais : "Mon père".

Mon père biologique. / Dans mon adolescence, / Je le regarde exercer son pouvoir / Sur sa femme, sur mon frère et moi, /Sur ceux qui travaillent à ses ordres.

Mon père est Directeur des finances de la Tunisie / Sous le Protectorat français. / De Gaulle a quitté le pouvoir et voyage. / - Alors que faites-vous ici ? demande-t-il à mon père. / - Mon général, nous faisons tout pour garder ce pays à la France / - Et bien, vous avez tort.

Quatre ans après, ce pays accède à l'indépendance.

Pater
 2


Je commence à faire des films. / L'affrontement des clans irréconciliables. / L'argent lourd. / Le matériel encombrant.
 La force des comédiens aimés du public. / J'analyse. Je ruse, je cherche. J'essaye ; / L'invention de la caméra vidéo fissure les pouvoirs, / Je me sens plus libre, / Grâce à la présence de mon producteur Michel Seydoux.

Mon père meurt. / Sans une vraie réconciliation entre nous deux. / Je l'ai entendu plusieurs fois crier : / - J'aurais pu être Président de la République !

J'ai respecté son courage d'aveugle, de paralysé. / Aujourd'hui, je vois bien dans les miroirs / Que je deviens son clone à toute vitesse. / Ai-je comprimé tout ce qu'il a déposé en moi / A cause du jugement que je portais sur lui ?

Pater
 3


Je rencontre un homme que j'estime.
 / Vincent Lindon, comédien.
 / Il m'attire.
 / Mais je ne veux pas reprendre mon ancien métier de directeur d'acteurs.
 / Je ne filme que des personnes et plus des personnages. / Nous parlons dans des bars d'hôtel.
 / Nous aimons ces lieux de passage.
 / Un après-midi, en buvant un verre de Bordeaux,
 / Je le contemple avec plaisir.
 / J'ai une certitude : c'est mon fils.
 / Je suis son père. / 
J'accepte mon père et moi, enfin réunis.
 / Quelques minutes de bonheur.

Pater 
4


Je déterre un vieux projet qui me poursuit. / Le récit de l'enfant prodigue dans les Evangiles.
 / Un père a deux fils qui travaillent avec lui.
 / Las de son autorité, avide de liberté,
 / Le cadet demande sa part d'héritage.
 / Il court le monde.
 / Il claque tout. / 
Il revient, se met à genoux devant le père, demande pardon, / 
Le père ordonne une fête pour célébrer ce retour. / 
Le fils aîné se met en colère.
 / - J'ai travaillé dur et tu dépenses de l'argent pour ce vaurien ! / 
Le père dit - Il était parti. Il est revenu.

Pater 
5


Je vais voir Vincent Lindon à Calais. / Il y tourne un film. / 
Il est maître-nageur.
 / Il entraîne un jeune immigré clandestin entre la France et l'Angleterre.
 / Nous calons un accord : / 
faire un film ensemble.
 / Un film autour de nous deux : lui, comédien, moi, filmeur.
 / Ca pourra durer un an. / 
Nous tournerons à ses jours de libres.
 / Dans sa chambre d'hôtel, nous nous filmons
 / chacun avec ma caméra,
 / affirmant notre pacte.
 / C'est ce que nous faisons ensemble de plus important
 / depuis que nous nous connaissons.
 / Je ne lui parle même pas de l'enfant prodigue. / 
Je sais seulement que cette histoire
ne sera pas celle du film / 
Mais que le film baignera en elle.

Pater 
6


J'ai toujours été un grand amateur
de récits autobiographiques.
 / Surtout écrits par ceux qui nous gouvernent. / 
Et cela depuis La Guerre des Gaules de Jules César / 
que je traduisais au collège.
 / Je préfère encore plus / 
Les comptes-rendus de leurs collaborateurs
 / qui les ont observés.
 / Je partage avec Vincent la joie devant un détail
 / qu'aucune n'aurait pu saisir dans la vie / 
car il s'agit de l'intimité invisible et libre du pouvoir. / 
Je partage avec lui aussi
 / ce goût du geste juste, particulier, qui tue le cliché.
 / Au fil des mois, Vincent ne va-t-il pas se lasser ? / 
Je ne propose encore rien de précis. / 
Je me contente de conversations.
 / Sans perspectives cinématographiques.
 / C'est à ce moment que le fantôme de mon père / 
me prend la main et m'entraîne
 / Là où je dois aller avec Vincent.

Pater
 7


Au bar de l'hôtel Meurice, rue de Rivoli,
 / je propose à Vincent une structure pour notre film : / 
nous nous filmons tous les deux
 / dans notre vie courante.
 / Et sous l'oeil du spectateur, / 
Nous nous transformons régulièrement
 / et selon les circonstances
 / en personnages de fiction
 / avant de revenir à nos affaires du jour.

La fiction est la suivante :
 / Cavalier est Président de la République / 
Il est usé par un combat sans fin / pour satisfaire sa passion du pouvoir / 
et son obsession de réduire les inégalités.
 / Il propose à Lindon d'être son Premier Ministre.
 / Quelques réformes aboutissent.
 / Quelques batailles se gagnent. / 
L'énergie du Président décline. / 
L'étoile du Premier Ministre grandit.
 / On le pousse à se présenter aux présidentielles.
 / Il hésite... il cède. Il pose sa candidature.
 / Remonté par la trahison de son "fils",
 / Le Président part à l'assaut d'un deuxième mandat.
 / Il est battu.
 / Le Premier Ministre prend sa place. / 
Leurs femmes sont ravies.
 / Sauf le fils du Premier Ministre.

Pater
 8


Toujours dans la fiction,
 / après le scrutin,
 /l'ex-président passe son temps libre
 / à visiter son vieux père. / 
Ils profitent l'un de l'autre.
 / Le père dit à son fils une phrase / 
Que le père de Cavalier a réellement prononcée :
 / - Je me suis réconcilié avec Dieu. / 
- Et avec toi-même, lui répond Cavalier-Président.

Cette séquence sera mise en chantier en fin de tournage / 
Dans quel état d'esprit serons-nous à ce moment,
 / Vincent et moi ?
 / Tout est imprévisible. Tout est possible. / 
Même que Cavalier joue son propre père.
 / Même que Lindon soit Cavalier en fils...

Pater 
9


Pour le film,
 / Les emprunts sont faits / 
à un grand nombre de politiques
 / de tous les temps.
 / Il n'y a aucun modèle précis.
 / Aucune représentation du pouvoir / comme au journal télévisé / 
comme dans les documentaires
 / comme dans les films et téléfilms.
 / Seulement deux être humains,
 / Lindon et Cavalier
 / Qui "imaginent" la volonté de puissance
 / et la proposent à un troisième :
 / le spectateur.
 / Ensemble, nous pouvons jouer au grand jeu
 / violent et drôle
 / d'avoir un double compensatoire, / 
vénérable
 / et piétinable, / puis de revenir à nous-mêmes,
 / peut-être plus informés de notre véritable nature.

Pater 
10


Ce film n'a pas de but politique apparent. / 
Il sous-entend que nous sommes
 / autant une communauté de terriens
 / que les enfants de notre village.
 / C'est vivre plus grand et plus difficile.
 / Ce film est au plus près
 / de Vincent Lindon et d'Alain Cavalier.
 / Sa vitalité à lui,
 / sa curiosité, / 
son humour.
 / Mon passé à moi,
mon ironie devant l'avenir,
 / ma confiance dans le cinéma.
 / Demandons à Dieu, uniquement celui de la bonté,
 / Que tout cela soit réuni dans notre ouvrage.

Alain Cavalier, 2010.


vendredi 1 juillet 2011

La colle et la lumière

A partir de 1920, Kurt Schwitters et Laszlo Moholy-Nagy ne se sont jamais perdus de vue. Pour les deux artistes, le temps de l'oeuvre est le temps de la main, de la manipulation. Au point que l'oeuvre se fait moins pour être faite que pour se faire, dit Isabelle Ewig. Chez l'un et l'autre, on perçoit la nécessité de toujours renouveler le temps de la manipulation en renouvellant les expériences. Le Modulateur espace-lumière et le Merzbau peuvent apparaitre alors comme d'immenses dispositifs à faire durer la mise en forme.


Kurt Schwitters - Mz 600 Moholi, 1922, 32 x 24 cm - photogramme 1, 1929, 18 x 13 cm - Mz 308 Grau, 1921, 18 x 14 cm.

Laszlo Moholy-Nagy, photogrammes, papiers à noircissement direct, 1922.

à propos de Kurt Schwitters :
"Il distribuait de la farine et de l'eau sur le papier, puis il bougeait, mêlait et manipulait ses morceaux de papier de tous côtés dans la colle tant que le papier était mouillé. Du bout des doigts, il travaillait de petits morceaux de papier froissés dans la surface mouillée. (...) De cette façon, il utilisait la farine à la fois comme colle et comme peinture."
à propos de Laszlo Moholy-Nagy :
"Il utilisait un support très peu sensible, que l'on pouvait préparer à vue, en lumière atténuée, et qui était ensuite exposé au soleil. (...) Moholy pouvait donc réaliser en lumière ambiante ses arrangements d'objets, de caches et de textures, qu'il disposait ensuite au soleil; il pouvait en outre contrôler le degré de noircissement au fur et à mesure de l'exposition et, s'il le désirait, interrompre le processus pour enlever, déplacer ou remplacer des éléments, modifiant ainsi très facilement l'orientation de l'arrangement?"
Dans les deux cas (collage Merz et photogramme), il y a abandon de l'outil intermédiaire qu'est le pinceau de façon à procéder directement, du bout des doigts, déplaçant, ajoutant ou retranchant les matériaux selon les besoins de la composition. (...) Celle-ci n'est donc pas entièrement arrêtée au préalable : l'image se construit par manipulations successives, qui sont bel et bien dépendantes de la technique. Car sans l'emploi de colle de pâte, pas d'eau et donc pas de malléabilité, pas de manipulations aussi fluides. Car sans l'emploi de ce type de support photosensible, pas de durée d'exposition et donc pas d'intervention possible en cours de route, pas de contrôle possible. C'est sans doute ce qui faisait dire à Jean Arp que "la colle était un élément important dant l'art "Merz" autant que l'oeuf le fut à Colomb pour la découverte de l'Amérique" (...) et qui faisait dire à Moholy-Nagy que "le support photosensible était l'outil le plus important du procédé photographique".
"Peinture photographie film" Kurt Schwitters et Laszlo Moholy-Nagy l'un par l'autre, Isabelle Ewig in la revue Pratique n°11