jeudi 4 janvier 2024

Un, deux, trois fonds

Liz Deschenes, Green Screen #4, 2001/16, impression jet d'encre, 464.8 × 180.3 cm
Irving penn, fond gris
Helmut Smits, Transparent Background Paper, 2023
Pour montrer ou photographier un fond il faut le séparer donc appeler un autre fond à la rescousse. On met le fond sur un fond (un mur, un support, des entourages)
Les trois fonds ici sont des fonds tournants, une surface passant de la verticale à l'horizontale en effaçant la ligne d'intersection entre les deux plans

Irving penn, Alfred Hitchcock, 1947
Zelensky, fabrication d'un hologramme, 2022
Helmut Smits, tissage du fond, 2023
Quand d'Irving Penn fait un portrait, surtout en pieds, le décor est son partenaire. Dès les débuts pour Vogue, en 1946, il opte pour des entourages dépouillés et fait construire dans son studio une minuscule pièce adaptée au format vertical de la page de magazine. Dans cet espace restreint, le personnage se sent physiquement acculé et se compose lui-même à l'intérieur d'un espace qui préfigure les limites étroites de l'image. Irving Penn poussera la contrainte du dispositif en supprimant le mur du fond pour joindre bout à bout les deux murs latéraux en un angle inconfortable. Le modèle, souvent fameux, doit retrouver ses marques dans ce coin inhabituel.
Le grand fond gris exposé en 2017, au Grand Palais, dans l'exposition commémorant le centenaire de la naissance du photographe, a fait son apparition en 1950, à Paris quand Irving Penn s'installe pour un temps, au sixième étage d'un immeuble, rue de Vaugirard, pour photographier les collections d'Automne et réaliser des portraits d'artistes et de personnalités. Il commence là une nouvelle série : les portraits des Petits métiers, série qu'il continuera à Londres, puis à New York, emportant son fond, un vieux rideau de théâtre gris, de ville en ville. Vendeurs, ouvriers, artisans, facteurs, pompiers montent les six étages dans leur tenue de travail, avec leurs outils ou leurs marchandises, guidés par les assistants jusqu'au lieu intemporel et quelque peu solennel de la prise de vue. En 2017, le photographe disparu, des centaines de visiteurs levaient leur smartphone pour faire des selfies devant le même fond.

Depuis le début des années 1990, Liz Deschenes a fait de la photographie le sujet de son travail et explore la signification inhérente à ses matériaux. Ses photographies fonctionnent souvent aussi comme des objets sculpturaux ou architecturaux. "Je m'intéresse à une photographie qui cultive un dialogue autoréflexif tout en reflétant le monde dans son ensemble, j'utilise un vocabulaire qui mêle forme et concept."
Le fond vert est l'élément indispensable d'un dispositif standard d'effets spéciaux au cinéma et à la télévision : un acteur est filmé devant ce champ monochrome qui est ensuite remplacé par une autre image tenant lieu de contexte. Omniprésent et invisible, le fond vert est enfoui sous la surface de la plupart des films. Dans Green Screen #4, Liz Deschenes en fait une photographie monochrome. La longue impression jet d'encre verte vive, est suspendue sans cadre au mur et s'étend sur le sol de la galerie comme une toile de fond. Ces changements d'emplacement transforment l'image en objet et brouillent la limite entre photographie et sculpture. Green Screen #4 est une doublure (une photo) d'un objet qu'elle représente à l'identique et qui est une condition de production invisible de certaines images.

Helmut Smits tisse ensemble un papier blanc et un papier gris pour créer l'arrière-plan numérique vide de Photoshop sous la forme physique d'une toile de fond de studio de photographie. Peut-on tisser ensemble le numérique et le physique ?

Isabelle Huppert porte une robe Balenciaga à Cannes, 2022

Selfie devant le fond d'Irving Penn