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Sandro Botticelli, Saint Augustin dans sa cellule,
1490
Picasso, Pains et compotier aux fruits sur une
table, 1909, 164 x 132 cm |
La frontalité du tableau de Botticelli fabrique du secret. Qu'y a t'il sur la table ? La table réduit à une pure épaisseur devient le lieu du mystère. Un épais mystère. Saint Augustin doit soulever le livre pour rendre visible le geste de l'écriture. C'est le corps du saint qui est présent sous les différents aspects liés à son activité : les deux coudes sur la table (la table monte (où sont les pieds ?) et vient se placer sous eux, elle "souvient" aux coudes comme diraient Francis Ponge), les deux genoux dans la partie inférieure, la masse des plis colorés dans la grisaille de l'architecture.
Le temps est étagé verticalement. "Table" du sol, visible elle, sur lequel sont éparpillés les fragments de papier d'une pensée passée, déchirée. Pensée reformulée dans l'épaisseur du mystère de la table active frontalement. En haut, l'auréole est prise dans la perspective circulaire de l'alcôve. Un avenir éternel. Mystère, le rideau qui peut cacher la scène ou sur un mouvement de paupières nous soumettre au regard du personnage; la porte, ouverte/fermée par la perspective, barrée par la table, dont on ne sait pas où elle va ; les yeux baissés.
Picasso dispose les objets sur la table, là où il y avait des personnages dans "Carnaval au bistrot". Des pains pour des bras, un bol pour une main, une pomme pour une autre main, un compotier à la place d'un buste, reste une jambe pourtant sous la table. Le plan circulaire rabattu, comme une rallonge, à l'avant plan, marque la surface du tableau où la table se dresse et où les objets nous sont offerts. Là nous regardons, nous relions, nous évaluons la place des choses et leur connivence. (fg)
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Picasso, Carnaval au bistrot, 1909 |
Une cuillère, c'est pour prendre, et les objets empêchent de voir à travers la table basse. Le plateau est en verre, à la hauteur des coussins des banquettes, au niveau des genoux. Pour le nettoyer, soulever chaque objet l'un après l'autre, passer le chiffon, et les reposer de manière à ce qu'ils soient tous maintenant disposés comme ils s'étaient alors retrouvés, la soucoupe à côté du crayon.
Pascal Poyet, Un Sens facétieux, 2012, éditions cipM/Spectres Familiers
Un lit est un lit, une chaise est une chaise : il n'y a pas de relation entre eux tant qu'ils ne servent qu'à ce à quoi ils servent. Sans relation, pas d'espace, car l'espace n'existe qu'ouvert, suscité, rythmé, élargi par une corrélation des objets et un dépassement de leur fonction dans cette structure neuve. L'espace est en quelque sorte la liberté réelle de l'objet, sa fonction n'est que sa liberté formelle.
Jean Baudrillard, Le Système des objets, 1968, Gallimard
Voici ma table, et plus loin le piano ou le mur, ou encore une voiture arrêtée devant moi est mise en marche et s'éloigne. Que veulent dire ces mots ? Pour réveiller l'expérience perceptive, partons du compte rendu superficiel que nous en donne la pensée obsédée par le monde et par l'objet. Ces mots, dit-elle, signifient qu'entre la table et moi il y a un intervalle croissant que je ne puis voir d'où je suis, mais qui se signale à moi par la grandeur apparente de l'objet. C'est la grandeur apparente de la table, du piano et du mur qui, comparée à leur grandeur réelle, les met en place dans l'espace. (...) Mais si je peux remonter de la grandeur apparente à sa signification, c'est à condition de savoir qu'il y a un monde des objets indéformables, que mon corps est en face de ce monde comme un miroir et que, comme l'image du miroir, celle qui se forme sur le corps écran est exactement proportionnelle à l'intervalle qui le sépare de l'objet.
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945, Gallimard
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Joseph Kosuth, one and three tables, Protoinvestigations, 1965 |
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