mercredi 21 novembre 2012

Une pratique de la photographie interventionniste

Photographies Aby Warburg
Lorsqu'il part aux Etats Unis de septembre 1895 à mai 1896, Aby Warburg emporte un appareil photo Kodak n°2 Bull's Eye. C'est un appareil petit format, le premier appareil à utiliser la pellicule sur film souple. Douze vues par film.


Quand il prend ses clichés en série, Warburg s'inscrit au coeur de l'évènement. Il parcourt les lieux avec l'appareil. Il s'installe discrètement et à distance. Il avance rapidement vers son objet en s'arrêtant ponctuellement pour prendre une vue. "Son corps fonctionne comme le prolongement de son oeil, convertisssant cette action et cette dramaturgie en une force physique localisée dans les images."* Il investit l'énergie cinétique de son mouvement de photographe pour produire une intensité plastique à l'intérieur des images.

Ce qui a eu lieu, c'est une scène d'approche. Un groupe de personnes voit un homme s'avancer, un homme qui alternativement regarde dans une petite boîte noire qu'il tient contre lui et regarde le but de sa trajectoire. Ces personnes d'abord occupées à leur activité, perçoivent discrètement le manège de ce nouveau venu, puis au fur et à mesure qu'il avance, elle lui adressent plus directement regard, sourire et certainement parole.

Avec l'appareil, il délimite l'objet de la photo, prend contact avec lui, le pousse dans ses retranchements. "Warburg construit une scènerie dynamique dans laquelle diverses relations se superposent sur le mode interactif."* Relations entre les personnes photographiées, relations entre ces personnes et le photographe, relation entre les personnes et le spectateur. La première photo plante le décor, plan d'ensemble, la deuxième est un plan de demi-ensemble, puis la troisième en plan rapproché montre l'objet d'étude (la corde serpent), enfin le dernier plan, un contrechamp clos la série.

Chaque composition, de chaque image, souligne le caractère interventionniste et dialogique du geste photographique.

Les mouvements du photographe eux-mêmes évoluent en fonction de la scène et des mouvements de ceux qu'il photographie. Il s'accroupit, il s'écarte. Une légère bascule de l'image relate cette dimension dynamique. Chaque image est comme poussée vers la suivante. Le regard est le puissant vecteur de ce mouvement sériel d'image à image. La sensation corporelle passe dans l'image. C'est le corps du photographe qui affecte et dynamise les images. Le plaisir de l'opérateur enveloppe son objet dans une dynamique temporelle. L'espace à photographier est devenu une scène performantielle. L'image peut alors devenir une instance qui transforme ses objets. Elle charge en énergie les personnes représentées, les duplique en dissociant au besoin les espaces-temps successifs de la prise de vue.

* Karl Sierek, Images oiseaux, Aby Warburg et la théorie des médias, 2009, Klincksieck

Il faut à la fois prendre et offrir l'image.
Photographie Aby Warburg

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