Photographies Aby Warburg |
Quand il prend ses clichés en série, Warburg
s'inscrit au coeur de l'évènement. Il parcourt les lieux avec l'appareil. Il
s'installe discrètement et à distance. Il avance rapidement vers son objet en
s'arrêtant ponctuellement pour prendre une vue. "Son corps fonctionne
comme le prolongement de son oeil, convertisssant cette action et cette
dramaturgie en une force physique localisée dans les images."* Il investit
l'énergie cinétique de son mouvement de photographe pour produire une intensité
plastique à l'intérieur des images.
Ce qui a eu lieu, c'est une scène d'approche.
Un groupe de personnes voit un homme s'avancer, un homme qui alternativement
regarde dans une petite boîte noire qu'il tient contre lui et regarde le but de
sa trajectoire. Ces personnes d'abord occupées à leur activité, perçoivent
discrètement le manège de ce nouveau
venu, puis au fur et à mesure qu'il avance, elle lui adressent plus directement
regard, sourire et certainement parole.
Avec l'appareil, il délimite l'objet de la
photo, prend contact avec lui, le pousse dans ses retranchements. "Warburg
construit une scènerie dynamique dans
laquelle diverses relations se superposent sur le mode interactif."*
Relations entre les personnes photographiées, relations entre ces personnes et
le photographe, relation entre les personnes et le spectateur. La première
photo plante le décor, plan d'ensemble, la deuxième est un plan de
demi-ensemble, puis la troisième en plan rapproché montre l'objet d'étude (la
corde serpent), enfin le dernier plan, un contrechamp clos la série.
Chaque composition, de chaque image, souligne
le caractère interventionniste et dialogique du geste photographique.
Les mouvements du photographe eux-mêmes
évoluent en fonction de la scène et des mouvements de ceux qu'il photographie.
Il s'accroupit, il s'écarte. Une légère bascule de l'image relate cette
dimension dynamique. Chaque image est comme poussée vers la suivante. Le regard
est le puissant vecteur de ce mouvement sériel d'image à image. La sensation corporelle passe dans l'image. C'est
le corps du photographe qui affecte et dynamise les images. Le plaisir de
l'opérateur enveloppe son objet dans une dynamique temporelle. L'espace à
photographier est devenu une scène performantielle. L'image peut alors devenir
une instance qui transforme ses objets. Elle charge en énergie les personnes
représentées, les duplique en dissociant au besoin les espaces-temps successifs
de la prise de vue.
* Karl Sierek, Images oiseaux, Aby Warburg et la
théorie des médias, 2009, Klincksieck
Photographie Aby Warburg |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire