dimanche 8 juin 2014

Le lieu du crime

Weegee, Victime d'un accident de la route, 1937, Meurtre à Little Italy sur Mulberry Street, 7 août 1936, Un policier reprend du service en dehors de ses heures et tue un braqueur (Andrew Izzo), 3 février 1942, Mort à l'arrivée, vers 1941, Tué pendant une partie de boccia, vers 1939

"Murder is my business" titre l'exposition de Weegee à la Photo League en 1941. Le talent de Weegee c'est d'abord savoir aller chercher sa photo. Le dispositif de détection du lieu du crime fait parti de son dispositif photo, il comprend : une voiture, une radio ondes courtes, une machine à écrire et d'autres accessoires que Weegee énumère : "Ma voiture est devenue mon domicile. C'était un coupé avec un très grand coffre. J'y mettais tout, un appareil de rechange, des boîtes d'ampoules pour le flash, des chassis porte-films déjà chargés, une machine à écrire,des bottes de pompier, des boîtes à cigares, du saucisson, du film infrarouge pour photographier dans l'obscurité, des uniformes, déguisements, sous-vêtements, chaussettes et chaussures. Je n'étais plus lié au téléscripteur du commissariat central. J'avais la liberté de mes mouvements. Au lieu d'attendre que le crime viennent à moi, je pouvais aller le chercher. Je restais suspendu aux messages radio de la police. Mon appareil photo était toute ma vie, mon amour, mon unique sésame."
La photo ne vaut pour Weegee que par son authenticité : "Tout ce que je raconte est vrai et j'ai les photos, les reçus, les souvenirs et les cicatrices."


John Hilliard, Cause of Death, 1974

En 1974, dans 'Cause of Death', John Hilliard montre quatre photographies du même corps enveloppé dans un drap. Un seul cadavre, d'abord photographié sur un seul cliché noir et blanc. Puis de ce négatif, il tire quatre photographies ayant chacune un cadrage particulier et chacune un titre propre : Ecrasé, Noyé, Brûlé, Tombé.

John Hilliard montre clairement comment le cadrage affecte la lecture que l'on peut faire de l'image en transformant le contexte. Si par l'enregistrement photographique la scène est bien là, captée mécaniquement, donc apparemment "objective", le photographe dispose de tout un tas de possibilités d'interventions (ici le cadre) qui lui permettent de connoter la scène première et de la faire entrer dans de multiples narrations. Le titre alors ne fait qu'énoncer l'hypothétique cause de la mort et que faire fluctuer son éventuelle vérité.

John Baldessari, Brutus killed Caesar, 1976

John Baldessari, à l'inverse, part d'un énoncé et de sa structure grammaticale pour construire une phrase photographique : "Brutus killed Caesar". Trois mots pour trois photos qui se répètent et varient au fil d'un livre. Les objets utilisés pour connoter le verbe "tuer" et suggérer différentes armes poussent la réalité de l'acte (de sa réalisation ?) au delà de la vraisemblance.

Page du journal "Paris Magazine", photographie de Brassaï    
Et Brassaï se met en scène lui-même pour illustrer un roman feuilleton de Fernand Pouey paru dans le journal "Paris Magazine" en 1933.

Hippolyte Bayard, Autoportrait en noyé, 1840

Mais le premier cadavre que la photographie a constaté, dès son origine, c'est celle d'un de ses inventeurs, Hippolyte Bayard. Une mort toute fictive par crime de non reconnaissance.
« Le cadavre du Monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, inventeur du procédé dont vous venez de voir, ou dont vous allez voir les merveilleux résultats. À ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s’occupait de perfectionner son invention.
 L’Académie, le Roi et tous ceux qui ont vu ses dessins, que lui trouvait imparfaits, les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui a fait beaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé. Oh ! Instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la morgue, personne ne l’a encore reconnu, ni réclamé. Messieurs et Dames, passons à d’autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la tête du Monsieur et ses mains commencent à pourrir, comme vous pouvez le remarquer. »

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