dimanche 18 novembre 2018

Ciel et Terre (1)



Alfred Stieglitz, Equivalents, 1923-1934
Je ferais enfin quelque chose que j'avais en tête depuis des années. Je ferais une série d'images de nuages. Je voulais photographier les nuages pour découvrir ce que j'avais appris en 40 ans de photographie. À travers les nuages, transcrire ma philosophie de la vie - montrer que mes photographies n'étaient pas dépendantes d'un sujet - ni d'arbres, ou de visages ou d'intérieurs particuliers, ni de privilèges spéciaux - les nuages étaient là pour tout le monde - pas de droit à payer - libres. 

Alors j'ai commencé à travailler avec les nuages - et c'était très excitant - tous les jours pendant des semaines. Chaque fois que je développais, j'étais si excité, croyant toujours avoir presque obtenu ce que je recherchais - mais j'avais échoué. Une suite de jours et de semaines des plus alléchantes. Je savais exactement ce que je recherchais. J'avais dit à Miss O'Keeffe que je voulais une série de photographies qui, lorsque Ernest Bloch (le grand compositeur) les verrait, il s'exclamerait : Musique ! Musique ! Mon gars, mais pourquoi ? C'est de la musique ! Comment avez-vous pu faire ça ? Et il pointerait du doigt les violons, les flûtes, les hautbois et les cuivres, plein d'enthousiasme, et dirait qu'il devait écrire une symphonie appelée "Nuages". Encore mieux que Debussy

Et quand finalement, ma série de dix photographies a été imprimée, et que Bloch les a vues - il a dit, in extenso, ce que je voulais qu'il dise. 

(Alfred Stieglitz, How I came to Photograph Clouds, 1923)

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Alfred Stieglitz a continué à prendre en photo les nuages jusqu'en 1934. Le titre a changé plusieurs fois (Music : A Sequence of Ten Cloud Photographs, Songs of the Sky, Equivalents), la relation à la musique s'est atténuée. 

Sans aucune parcelle de terre qui permettrait d'identifier un lieu, ces images semblent de nulle part ou de toute part. De la part changeante des choses en tout cas. Part belle faite aux apparences, oui. Le référent disparu, les formes sont libres et égales entre elles (fraternelles douceurs et turbulences). Stieglitz ne dépasse-t-il pas là les peintres de son époque, qu'il admirait tant ? Quand ils affirmaient encore la surface lui la pulvérisait dans les gris et restituait le changeant dans la vibration optique. 

Quand il exposait ou publiait les photos de la série Equivalents, Stieglitz les agençait en plusieurs groupes, inscrivant au dos des épreuves montées, une ou plusieurs lettres pour mieux identifier ce qu’il appelait "Ensembles". Stieglitz ne considérait pas ces séries ou ensembles comme des unités séparées et fermées. Certains tirages appartiennent à plusieurs ensembles, et différentes épreuves de la même photo portent des identifications différentes. Ses ensembles doivent être considérés comme des constructions artificielles et mobiles qui reflètent, non pas le passage du temps réel, mais le changement psychologique et subjectif de l'auteur.

Carl Andre, Equivalent V et VIII, 1966
Carl Andre, Equivalent, 1966
Les huit structures de la série Equivalent de Carl Andre ont la même hauteur, la même masse et le même volume, mais des formes différentes. Chaque structure est composé de 120 briques réfractaires réparties en deux couches. Toutes sont équivalentes.

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