Barbara Kruger, Picture/Reading, 1978 |
mercredi 22 décembre 2021
Picture/Readings
mardi 14 décembre 2021
Intégrales
Richard Baquié, Intégrale,1992 |
Richard Baquié, étude pour Intégrale,1992 |
Richard Baquié, étude pour Intégrale,1992 |
Marcel Duchamp, collage photo |
"… Je développe des notions de paysage, de panorama, d'image, de perception, de phénomènes sociaux. Les paysages de la série des Intégrales sont élaborés à partir de photographies personnelles de divers pays, la règle étant de trouver le fragment d'image s'assemblant aux autres, formant ainsi un paysage tout à fait artificiel. Ils donnent une certaine impression de déjà vu, une réminiscence confuse." Richard Baquié
Richard Baquié, Nulle part est un endroit,1989 |
Richard Baquié, Intégrales,1992 |
Richard Baquié, Transfert énergétique dans un lieu, 1985, photo-collage, 19 x 41 cm |
Richard Baquié, Fixer, 1994, 4 tirages Cibachromes, zinc plié et soudé, 200 x 420 cm. |
Ici le film de Achille Chiappe, Étant donné, sur et avec Richard Baquié
lundi 13 décembre 2021
Approximationnisme
Richard Baquié, Réplique, Étant donnés 1° La chute d'eau, 2° Le gaz d'éclairage, 1991 |
Marcel Duchamp, Instructions pour Etant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage…(édition du Philadelphia Museum of Art, 1987) |
Découpes des 2 photos ci-dessus montrant une vue générale. fg |
En 1987, le Musée de Philadelphie publie (20 ans après la mort de l'artiste et selon ses instructions) le fac-similé des notes de Marcel Duchamp concernant la construction de son œuvre posthume : "Étant donné : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage…"
C'est la reproduction, dans un livre, d'un classeur à anneaux où se succèdent, dans des fausses pochettes en plastique, photos et notes de l'artiste permettant le démontage et le remontage de l'installation laissée, à sa mort, dans son atelier new yorkais. Un manuel de construction.
Loin de ressembler à des plans d'architecte ou de designer (comme ceux utilisés à la même époque par Arturo Schwarz pour faire répliquer les ready-made) les documents sont essentiellement des photos noir et blanc prises dans l'atelier, annotées au stylo bille bleu ou au feutre rouge, dans les marges et directement dans les images. Quelques notes rédigées sur des pages blanches sont glissées dans les pochettes ainsi qu'une maquette en carton.
L'atelier où les photos sont prises paraît le lieu exigu d'un grand bricolage, d'un assemblage empirique, d'un ajustement de choses triviales (bout de bois, tissu, branchage, scotch, carton, linoleum…) selon une mécanique de précision qui se sert de la photo pour fixer ses repères. Images et notes sont autant de points d'orientation dans un désordre buissonnant. Les photos sont, sur plusieurs pages, découpées et ajustées elles-mêmes, pour rendre les vues plus explicites. Ce sont des montages de montages. Le classeur s'ouvre sur deux vues d'ensemble de l'installation entière. Deux vues qui sont deux montages de morceaux de photos. Les deux montages sont différents. La seconde vue est annotée : "vue générale plus complète". Plus loin la légende : Approximation démontable, exécutée entre 1946 et 1966 à N.Y, et le titre : "Étant donné : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage…" D'emblée il apparaît qu'en ajustant différemment les morceaux de photo, la vue devient plus satisfaisante, plus complète. Suit la description des 15 opérations de montage.
Marcel Duchamp, Instructions pour Etant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage…(édition du Philadelphia Museum of Art, 1987) |
Les vues de cette approximation démontable sont des vues d'intérieur. Le montage va de "clouer le linoleum quadrillé au sol" à "placer les cheveux" en passant par "arc bouter le paysage" et "accrocher les nuages en coton". Les 15 étapes sont décrites, photos & images.
"Par approximation j'entends une marge d'ad libitum dans le démontage et le remontage" écrit Marcel Duchamp. Donc du jeu. Jeu et déplacement, la pièce est transportable, on peut la déplacer. Transportée, elle se transforme, un peu (une marge) dans le jeu des joints (inframince). Elle sera, après la mort de Duchamp, déplacée au Musée de Philadelphie en 1969 et remontée en trois mois grâce aux instructions laissées. Si la vue générale doit être montée pour être montrée, c'est qu'elle ne peut être prise de loin (avec le recul nécessaire). C'est une vue d'intérieur. L'opérateur photo est contraint à une proximité (qui lui permet le détail de la vue). Il est proche. L'approximation se fait au plus proche.
Nous sommes nombreux à avoir acheté le fac-similé à sa sortie en 1987, mais un seul l'a mis en œuvre c'est Richard Baquié.
"Étant donné…" est une œuvre qui n'en finit pas de dialoguer avec l'oubli, j'ai le sentiment que Duchamp cherche à pointer et à retrouver tout ce que notre époque a perdu : voyez par exemple le sentiment du paysage, la cascade, le bosquet, le lointain…"
"C'est long à faire, et ça dure au point que je ne sais même pas quand et comment je finirai. Je veux retrouver la dimension du temps et de la durée présente dans cette œuvre posthume…"
"L'intérêt de copier réside avant tout dans les interférences entre ce que l'on croyait savoir et l'autre savoir qui nous arrive quand on se retrouve dans la situation dans laquelle je me suis volontairement mis."
"J'ai d'abord voulu tenter de suivre certains gestes de Duchamp car je me suis dit que ce faisant, je pourrais me retrouver dans le même état de pensée."
"Cet acte iconoclaste marque un terme pour moi à une participation passive." RB
Il fallait à Richard Baquié une dose de courage et d'impertinence pour aimer Duchamp de cette façon et, entre 1989 et 1991, entreprendre avec précision cette réplique à une époque où les ready-made et l'appropriationnisme occupaient le devant de la scène artistique. C'est, au contraire, un principe de répétition fidèle qui est activé ici, une copie conforme (ad libitum), un long approximationnisme.
En la refaisant, il nous a donné à voir de toute part (intégralement) une œuvre visible jusque-là uniquement à travers deux trous percés dans une lourde porte. C'est tout l'appareillage optique qui apparaît et la possibilité pour tous de conjuguer voyeur et viewer. Richard Baquié conclue qu'en refaisant l'œuvre à l'identique, il n'avait rien appris de plus sur Duchamp mais aussi qu'en se remettant dans les gestes de l'auteur il en avait approché la pensée-même. Il me semble que son approche de l'œuvre de Duchamp résonne aujourd'hui avec celle de Bernard Stiegler et s'énonce dans le titre de sa dernière exposition: Constat d'échec.
Dessins pour la réalisation des ready-made en 1964 |
Ici le film de Achille Chiappe, Étant donné, sur et avec Richard Baquié
dimanche 21 novembre 2021
Un futur égaré
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Mike Mandel, People in Cars, 1970 |
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Larry Sultan & Mike Mandel, Billboards, |
Ils ne veulent pas faire la guerre du Vietnam, ils ne veulent pas faire carrière dans une entreprise, ils se lancent dans la photographie. C'est à la mode, tous les jeunes ont un appareil. Sciences politiques, photographie puis philosophie. Mike photographie des gens dans leur voiture. Ils conçoivent des panneaux d'affichage. L'art est dans le monde. Ils fondent une société. Sur leur blason, des mains tiennent des oranges en feu. Ils sont tous les deux présidents. Ils éditent une carte de Noël très ennuyeuse comme le font toutes les sociétés. Les photos romantiques ne les intéressent pas. C'est la collision des idées qui est drôle. Ils empilent et ils font se croiser des couches de récits différentes. Ils vont à tous les vernissages de Ed Ruscha. Eux aussi veulent transformer l'œuvre d'art en quelque chose de démocratique. Mike fait des autoportraits dans la ville, avec un retardateur. Ils appellent Ed Ruscha pour lui demander l'adresse de son imprimeur. Leur premier livre est un manuel de formation. Comment lire la musique en une soirée. Ils grimpent sur les toits avec une petite amie qui pose devant les images commerciales. Ils collent une de leur photo sur un panneau publicitaire. Les gens du quartier sont ravis. Avec une image qui ne veut rien dire, on peut faire sortir les gens de leur état de subjugation. "Qu'est-ce que ça veut dire ?" Prétendant vouloir faire une exposition de «grande photographie industrielle en Californie», ils vont chercher des images à l'institut de recherche de la Nasa et en d'autres lieux impliqués dans l'exploitation du pouvoir de la technologie. Ce sont des images "off", pas celles qu'on montre dans les médias. Les images déclassées de projets anciens. Toutes les images sont nettes et claires. Elles ont été prises avec une chambre 4x5 inch, ce sont de belles photos. On passe de la fiction policière à la science-fiction qui toutes deux reposent sur des formes de connaissances conjecturales. Des preuves de quoi ? On regarde l'analyse médico-légale de quelque chose. On voit un futur égaré. Au fur et à mesure, les choses deviennent incontrôlables, dégénèrent. La technologie ne nous amène pas au bon endroit, il y a un sentiment général de désastre ou de catastrophe qui s'articule à travers les opérations de montage. Il y a des rythmes narratifs mais il y a aussi des ruptures. Ces photos documentaires, faites dans le cadre d'une activité crédible, ont un certain poids, presque un côté dramatique. Ce sont des documents qui, agencés en séquences, servent à écrire un roman policier. On entrevoit des indices. Quand on fait certaines choses sérieuses, on arrive à des situations inimaginables. Aux confins de laboratoires, dans ces paysages repliés sur leurs propres expériences, sur leurs propres logiques, que font les bâtisseurs du futur ? Les photographies sont « flottantes ».
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(d'après interviews et textes de Mike Mandel & Larry Sultan)
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Mike Mandel & Larry Sultan, Evidence, 1977 |
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Mike Mandel & Larry Sultan, Evidence, 1977 |
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Mike Mandel & Larry Sultan, Evidence, 1977 |
Il faut monter des photos flottantes pour rendre visible un futur égaré.
lundi 18 octobre 2021
Des clous
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Robert Cumming, Nail in 2” x 2” and Close-Up, 1974 |
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Ed Ruscha, Untitled (Nail Sculpture), 1959-60 |
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JohnBaldessari, Ingres And other Parables, 1970 |
Ingres (John Baldessari)
C'est l’histoire d’un tableau peu connu de Ingres. Son premier propriétaire en prit grand soin mais par la force des choses, il dû finalement le vendre. Les propriétaires qui lui succédèrent ne s’occupèrent pas du tableau avec la même circonspection et n’en prirent pas autant soin. Ainsi, le deuxième propriétaire laissa peu à peu le tableau se dégrader. Tout commença peut-être en l'accrochant de travers sur le mur, sans l’épousseter, peut-être tomba-t-il quelques fois par terre quand quelqu’un claquait trop fort la porte. Quoiqu’il en soit le troisième propriétaire reçut le Ingres avec quelques éraflures (pas vraiment des déchirures), et un des coins de la toile bâillait — la peinture s’effaçant çà et là. Les propriétaires suivants la firent retoucher et ainsi de suite, mais les remises en état ne suffisaient jamais et le déclin avait commencé. Le tableau était dans un triste état. Mais ce qui était important c’était la documentation — l’idée d’un Ingres, pas sa matérialité. Et les attestations étaient toujours bien conservées. Une lignée claire, une bonne généalogie. C’était un Ingres, assurément, même si la peinture en ces temps n’existait plus trop.
L’autre jour, il a été vendu aux enchères. Le temps n’avait pas été clément avec le Ingres. Tout ce qui en restait, c’était un clou. Ce clou était peut-être d’origine, peut-être déjà utilisé lors des réparations, ou Ingres lui-même s'en était servi pour suspendre le tableau. C’était tout ce qui restait du Ingres. En fait, il passait pour être le seul clou Ingres jamais proposé en vente publique.
Moralité : Si vous avez l’idée en tête, c’est comme si l’œuvre était faite.
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Goria, Clou, 2010 |
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Ilya Kabakov, Who Hammered this Nail?, 56 X 70 cm, 2002 |
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Braque, Broc et
violon, Violon
et palette,1909 Ed Ruscha, Ordinary Nail, peinture, 2010 |
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Joseph Kosuth, One and Three Hammers, 1965 |