samedi 7 octobre 2023

Des chiens poursuivant ma voiture dans le désert

John Divola, Dogs Chasing My Car in the Desert, 1996-2001

John Divola, Dogs Chasing My Car in the Desert, 1996-2001
Le désert n'est pas vide, mais son vide relatif a pour effet de conférer un certain poids à tout ce qui y est présent. C'est un endroit extraordinaire, une vue ininterrompue jusqu'à l'horizon, la qualité très particulière de la lumière et l'odeur qu'il exhale après la pluie… sans parler du sens exacerbé que l'on y a de sa propre existence. 

Et c'est calme. Une fois, alors que j'étais monté au sommet d'une très haute colline pour prendre des photos, le bruit du vent qui glissait sous les ailes d'un oiseau m'a fait sursauter. Des centaines de mètres plus bas, et à une distance d'un kilomètre, un chien qui m'avait repéré s'est mis à aboyer. On ne prend pas un chien au dépourvu dans le désert : il entend votre voiture à plusieurs kilomètres à la ronde et lors de votre arrivée, il est déjà dans un état d'attente exacerbé.

De 1995 à 1998, je travaillais à une série de photographies de maisons isolées dans le désert de l'est de la Morongo Valley, en Californie du Sud. De temps en temps, comme je traversais le désert, un chien poursuivait ma voiture. En 1996 j'ai emporté avec moi un appareil 35mm motorisé et chargé d'une pellicule très sensible à gros grains. Le procédé était simple : lorsque je voyais venir un chien vers la voiture, je réglais la mise au point et l'exposition. En gardant une main sur le volant, je tenais l'appareil à bout de bras par la fenêtre pour réaliser soit quelques images soit la pellicule entière. Je dois avouer, que j’ai parfois fait demi-tour pour repasser devant une maison quand le chien était particulièrement enthousiaste. 

Méditer sur un chien poursuivant une voiture invite à toutes sortes de métaphores et de juxtapositions : la culture et la nature, le domestique et le sauvage, l'amour et la haine, la joie et la peur, l'héroïsme et l'idiotie. On pourrait y voir une danse à la fois viscérale et cinétique. Nous avons ici deux vecteurs, deux vitesses, celle d'un chien et celle d'une voiture et, vu qu'une caméra ne capturera jamais la réalité et qu'un chien n'attrapera jamais une voiture, la preuve est faite d'un engagement dans une entreprise sans espoir. 

John Divola, Texte traduit (fg) du livre Dog Chasing My Car in the Desert, aux éditions Nazraeli press/JGS, 2004.

John Divola, Isolated Houses, 1996-2001

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