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Pino Pascali, Armi, 1966 |
Dans une civilisation de consommation, les images ressemblent (faussement) à des symboles et créent ce phénomène typique que je définis comme «rhétorique de l’image». C’est la raison pour laquelle j’ai choisi le «canon», la «bombe», les armes. Il existe toute une représentation symbolique que la peinture figurative a utilisée à son maximum en se déconnectant de l’objet. Plus le sujet est entouré de cette épaisseur rhétorique, plus c’est important pour moi de «le récupérer». […] Je pense que le problème consiste à repenser l’image de ces attributs ou symboles en les reliant à cette présence de l’objet. C’est pourquoi, par mon action de sculpteur, je cherche à récupérer l’image de consommation du canon et de la bombe. C’est cette présence de l’objet qui m’intéresse, canon = c+a+n+o+n/bombe = b+o+m+b+e. Comme un mot est fait de tant de lettres, mes armes sont faites de tant d’objets. […] Enfin, pour supprimer les différents aspects de tous ces objets, pour réaliser une image d’une seule unité, je les peins avec cette peinture standard de couleur «kaki-olive» qui est utilisée par l’armée. Plus ils semblent vrais, plus la mystification est réussie.
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Felix Gonzalez-Torres, "Untitled" (Death by Gun), 1990 |
Une pile de posters imprimés en noir et blanc. Les visiteurs peuvent emporter les feuilles qui seront renouvelées ou les regarder sur place. On y voit, sous forme de vignettes ou de silhouettes, les visages de 460 personnes. Toutes ont été tuées par armes à feu, aux États-Unis, au cours de la semaine du 1 au 7 mai 1989. Durant cette semaine-là, huit États n'ont pas déclaré de morts par balles. 68 au Texas, 44 en Floride, 40 dans l'État de New York, 30 en Géorgie… Sous chaque vignette, un court texte indique le nom, le prénom, l'âge de la personne, l'État et sa ville de résidence ainsi que les circonstances de sa mort. Felix Gonzalez-Torres a repris une enquête publiée le 17 juillet 1989 dans le Time, "7 Deadly Days" écrit par Ed Magnuson, Joyce Leviton et Michael Riley où sur 28 pages sont publiés les portraits des victimes (ou des suicidés, 216). On y constate l'importance et la banalisation de cette forme de mortalité qui surpasse, par exemple, le nombre de morts (américain) durant la guerre du Viêt Nam. Les victimes sont ceux et celles les plus vulnérables socialement. La question du port d'armes aux usa est posée.
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VALIE EXPORT, “Aktionshose: Genitalpanik” (Action pantalon : Panique génitale), 1969 |
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Niki de Saint Phalle, Tirs, 1961 |
"Un assassinat sans victime. J'ai tiré parce que j'aimais voir le tableau saigner et mourir."
Entre 1961 et 1963, Niki de Saint Phalle organise des séances de "Tirs". Des "tableaux" sont préparés et fixés sur une planche. Ils sont composés par exemple de morceaux de plâtre, de poches contenant des œufs, des tomates, des berlingots de shampoing et surtout des flacons d'encre colorées. Quand elle tire à la carabine, les poches éclatent sous l'impact des balles et les couleurs et matières dégoulinent en traînées bariolées. Au début, les séances sont organisées avec des amis, Pierre Restany, le photographe Harry Shunk et Daniel Spoerri. Puis en juin 1961, se tient sa première exposition personnelle "Feu à volonté" à la galerie J : c'est là qu'elle met en place officiellement les "Tirs", où les spectateurs sont également invités à utiliser la carabine pour tirer sur les "tableaux".
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Chris Burden, Shoot, 1971 |
À cette époque, tous les soirs, à la télé, je voyais des gars de mon âge se faire tirer dessus. C'était la guerre du Viêt Nam. Un petit groupe avait monté ce lieu, F Space, dans un ancien local industriel à deux pas de mon atelier. Je savais que je ne pouvais pas aller à l'armurerie du coin pour demander si quelqu'un accepterait de venir me tirer dans le bras pour une performance artistique. Ça n'aurait pas marché. Je devais demander à un ami, quelqu'un qui serait prêt à le faire parce qu'il aimait mon travail. La balle devait frôler mon bras, m'égratigner et une goutte de sang coulerait le long de mon bras. C'était l'idée.
Il se tenait à environ 4,5 mètres de moi. Il m'a demandé si j'étais prêt. Je me suis raidi, j'ai écarté un peu mon bras gauche pour qu'il puisse tirer.
Finalement ce fut une blessure superficielle. La balle de 22 a traversé mon bras et en est ressortie. C'était comme heurter la tôle d'un semi-remorque sur l'autoroute. J'ai senti mon bras emporté par une force énorme. J'étais pâle et je me suis mis à trembler un peu. On m'a transporté à l'hôpital, j'ai dit à la police que c'était un accident. Je ne pense pas qu'ils m'ont cru un seul instant. Ils ont probablement pensé que ma femme m'avait tiré dessus et que je ne voulais pas porter plainte. Je crois que je voyais ces performances comme un moyen de contrôler les événements. Ou plutôt elles devaient me donner l'illusion que je pouvais contrôler les choses.
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Francis Alÿs, Re-enactments, 2002 |
Dans Re-enactments, l’artiste est filmé en train de déambuler dans les rues de Mexico, un Beretta chargé à la main. Près de cinq minutes s’écoulent avant que la police ne le remarque et ne l’arrête. Aucun passant n’avait aperçu l’arme à feu, leur attention étant accaparée par la caméra. Francis Alÿs a ensuite demandé aux officiers de police la permission de rejouer cette balade armée et l’arrestation. La deuxième vidéo est donc identique à la première, si ce n’est qu’elle est mise en scène. Les deux documents sont projetés côte à côte. Puissance du spectacle dans la société contemporaine : un homme armé est autorisé par la police à se balader dans les rues pour faire un film.
voir le film : ici
Les autres épisodes :