jeudi 22 mai 2025

Faits d'armes - Faire ses armes (3)

Pino Pascali, Armi, 1966
La série Armi de Pino Pascali est montrée à la Galerie Sperone, à Turin, en janvier 1966. Il présente de fausses armes faites d’objets récupérés (carburateur de voiture, tube hydraulique, roues de camion, pistons, etc.) et, pour les parties manquantes, d’éléments en métal ou en bois, le tout assemblé et peint en vert kaki militaire afin de supprimer tout effet d’hétérogénéité des matériaux et créer une image, celle d’une arme véritable, en réalité une sculpture. Pino Pascali est revenu, par écrit, sur la notion d’image, au centre de sa réflexion de sculpteur : 

Dans une civilisation de consommation, les images ressemblent (faussement) à des symboles et créent ce phénomène typique que je définis comme «rhétorique de l’image». C’est la raison pour laquelle j’ai choisi le «canon», la «bombe», les armes. Il existe toute une représentation symbolique que la peinture figurative a utilisée à son maximum en se déconnectant de l’objet. Plus le sujet est entouré de cette épaisseur rhétorique, plus c’est important pour moi de «le récupérer». […] Je pense que le problème consiste à repenser l’image de ces attributs ou symboles en les reliant à cette présence de l’objet. C’est pourquoi, par mon action de sculpteur, je cherche à récupérer l’image de consommation du canon et de la bombe. C’est cette présence de l’objet qui m’intéresse, canon = c+a+n+o+n/bombe = b+o+m+b+e. Comme un mot est fait de tant de lettres, mes armes sont faites de tant d’objets. […] Enfin, pour supprimer les différents aspects de tous ces objets, pour réaliser une image d’une seule unité, je les peins avec cette peinture standard de couleur «kaki-olive» qui est utilisée par l’armée. Plus ils semblent vrais, plus la mystification est réussie.

Felix Gonzalez-Torres, "Untitled" (Death by Gun), 1990

Une pile de posters imprimés en noir et blanc. Les visiteurs peuvent emporter les feuilles qui seront renouvelées ou les regarder sur place. On y voit, sous forme de vignettes ou de silhouettes, les visages de 460 personnes. Toutes ont été tuées par armes à feu, aux États-Unis, au cours de la semaine du 1 au 7 mai 1989. Durant cette semaine-là, huit États n'ont pas déclaré de morts par balles. 68 au Texas, 44 en Floride, 40 dans l'État de New York, 30 en Géorgie… Sous chaque vignette, un court texte indique le nom, le prénom, l'âge de la personne, l'État et sa ville de résidence ainsi que les circonstances de sa mort. Felix Gonzalez-Torres a repris une enquête publiée le 17 juillet 1989 dans le Time, "7 Deadly Days" écrit par Ed Magnuson, Joyce Leviton et Michael Riley où sur 28 pages sont publiés les portraits des victimes (ou des suicidés, 216). On y constate l'importance et la banalisation de cette forme de mortalité qui surpasse, par exemple, le nombre de morts (américain) durant la guerre du Viêt Nam. Les victimes sont ceux et celles les plus vulnérables socialement. La question du port d'armes aux usa est posée.

VALIE EXPORT, “Aktionshose: Genitalpanik” (Action pantalon : Panique génitale), 1969
Le 22 avril 1969, pubis apparent et mitraillette à la main, l'artiste autrichienne VALIE EXPORT, alors âgée de 29 ans s’introduit armée dans un cinéma d'art et essais à Munich. Elle déambule entre les rangées de sièges exhibant son sexe sous la mitraillette. La performance s'inscrit dans le projet Expanded Cinema (réalisé en collaboration avec l’artiste Peter Weibel) qui vise à interroger le rôle du spectateur au cinéma. L'année suivante elle réactivera Genitalpanik en placardant le poster dans les rues de Vienne. Une figure de la guérilla au féminin est née.

Niki de Saint Phalle, Tirs, 1961

"Un assassinat sans victime. J'ai tiré parce que j'aimais voir le tableau saigner et mourir."

Entre 1961 et 1963, Niki de Saint Phalle organise des séances de "Tirs". Des "tableaux" sont préparés et fixés sur une planche. Ils sont composés par exemple de morceaux de plâtre, de poches contenant des œufs, des tomates, des berlingots de shampoing et surtout des flacons d'encre colorées. Quand elle tire à la carabine, les poches éclatent sous l'impact des balles et les couleurs et matières dégoulinent en traînées bariolées. Au début, les séances sont organisées avec des amis, Pierre Restany, le photographe Harry Shunk et Daniel Spoerri. Puis en juin 1961, se tient sa première exposition personnelle "Feu à volonté" à la galerie J : c'est là qu'elle met en place officiellement les "Tirs", où les spectateurs sont également invités à utiliser la carabine pour tirer sur les "tableaux".

Chris Burden, Shoot, 1971
Le 19 novembre 1971, dans la galerie californienne F Space, Chris Burden s'immobilise devant un public peu nombreux pour recevoir une balle de 22 Long Rifle dans le bras gauche.

À cette époque, tous les soirs, à la télé, je voyais des gars de mon âge se faire tirer dessus. C'était la guerre du Viêt Nam. Un petit groupe avait monté ce lieu, F Space, dans un ancien local industriel à deux pas de mon atelier. Je savais que je ne pouvais pas aller à l'armurerie du coin pour demander si quelqu'un accepterait de venir me tirer dans le bras pour une performance artistique. Ça n'aurait pas marché. Je devais demander à un ami, quelqu'un qui serait prêt à le faire parce qu'il aimait mon travail. La balle devait frôler mon bras, m'égratigner et une goutte de sang coulerait le long de mon bras. C'était l'idée.
Il se tenait à environ 4,5 mètres de moi. Il m'a demandé si j'étais prêt. Je me suis raidi, j'ai écarté un peu mon bras gauche pour qu'il puisse tirer.
Finalement ce fut une blessure superficielle. La balle de 22 a traversé mon bras et en est ressortie. C'était comme heurter la tôle d'un semi-remorque sur l'autoroute. J'ai senti mon bras emporté par une force énorme. J'étais pâle et je me suis mis à trembler un peu. On m'a transporté à l'hôpital, j'ai dit à la police que c'était un accident. Je ne pense pas qu'ils m'ont cru un seul instant. Ils ont probablement pensé que ma femme m'avait tiré dessus et que je ne voulais pas porter plainte. Je crois que je voyais ces performances comme un moyen de contrôler les événements. Ou plutôt elles devaient me donner l'illusion que je pouvais contrôler les choses.


Francis Alÿs, Re-enactments, 2002

Dans Re-enactments, l’artiste est filmé en train de déambuler dans les rues de Mexico, un Beretta chargé à la main. Près de cinq minutes s’écoulent avant que la police ne le remarque et ne l’arrête. Aucun passant n’avait aperçu l’arme à feu, leur attention étant accaparée par la caméra. Francis Alÿs a ensuite demandé aux officiers de police la permission de rejouer cette balade armée et l’arrestation. La deuxième vidéo est donc identique à la première, si ce n’est qu’elle est mise en scène. Les deux documents sont projetés côte à côte. Puissance du spectacle dans la société contemporaine : un homme armé est autorisé par la police à se balader dans les rues pour faire un film.

voir le film : ici

Les autres épisodes :

Ray Gun - faire ses armes (1)

Faire ses armes (2)

 

lundi 12 mai 2025

La sirène

Richard Prince, Collected Writings, 2011
La sirène

À New York, j'embarque sur un bateau vers la France, j'ai 18 ans. C'était un petit bateau de croisière italien, bourré d'étudiants. Le premier jour nous avons traversé un ouragan. Tout le monde était malade. Nous étions huit jeunes par chambrée. Nous étions tous étrangers. Il y avait beaucoup à boire, beaucoup de fêtes. J'ai rencontré une fille de l'Université du New Hampshire. On s'est beaucoup embrassés. Quand nous avons accosté au Havre, il y a eu un appel. Il manquait une personne. Une fille. Elle avait dû tomber par-dessus bord au milieu de l'Atlantique. Ça aurait pu arriver facilement et ça aurait été facile de ne rien voir. Je pense encore à cette fille, gesticulant sur-place, avec sa main qui s'agite en l'air, ses vêtements et ses cheveux mouillés, désemparée et regardant le bateau s'éloigner.
Richard Prince, Collected Writings, 2011

Richard Prince, Instagram, 2014

Richard Prince, Exposition New Portraits, Galerie Gagosian, 2015

New Portraits

En 1984, j'ai fait des portraits.
Je l'ai fait d'une manière différente. D'une manière qui n'avait rien à voir avec la tradition du portrait. Si vous vouliez que je fasse votre portrait, vous deviez me donner au moins cinq photographies qui avaient déjà été prises de vous, qui étaient en votre possession (vous les aviez, elles étaient à vous) et, plus important encore, vous en étiez déjà satisfait.
Vous me donnez les cinq que vous aimez et je choisirai celle que moi j'aime. Je la re-photographierai et ce sera votre portrait. C'est simple. Direct. Au point...

Infaillible.

J'ai commencé par mes amis. Peter Nadin. Anne Kennedy. Jeff Koons. Cookie Mueller. Gary Indiana. Colin de Land.
Ils n'ont pas eu à poser pour leur portrait. Ils n'avaient pas à prendre rendez-vous et à venir s'asseoir devant un cyclope ou devant un fond neutre ou sur un tabouret d'artiste. Ils n'avaient pas besoin de se présenter. Et ils ne seraient pas déçus du résultat. Comment le seraient-ils ? Ce n'est pas comme s'ils me donnaient des photos d'eux embarrassantes.

Science-fiction sociale.

Un autre atout c'était la « chronologie ». Si vous aviez la soixantaine et que vous me donniez une photographie prise trente ans plus tôt, et que c'est celle que je choisissais, votre portrait finissait dans une sorte de machine à remonter le temps. Je ne pouvais pas avancer, mais je pouvais reculer dans le temps. Vanité. La plupart des personnes aimaient la version la plus jeune d'elles-mêmes. L'avenir n'avait donc pas vraiment d'importance. La moitié de H. G. Wells valait mieux que pas de moitié du tout.

Qui l'eût dit ?

Après les amis, je suis passé aux gens que je ne connaissais pas.
J'avais accès à la Warner Bros. Records et à leurs fichiers publicitaires. Ces dossiers étaient remplis de papier glacé 8 x 10 des stars du disque qu'ils avaient sous contrat. Laissons tomber la façon dont j'y ai eu accès. C'était il y a longtemps. Disons simplement qu'un gars de l'A&R m'a donné l'accès, la "permission".
J'ai passé du temps au siège de Los Angeles, à Burbank, et j'ai fouillé dans les armoires métalliques pour prendre les "publicités" que je voulais, je les ai ramenées chez moi, je les ai posées devant mon appareil photo et j'ai fait une nouvelle photo. La première que j'ai faite était celle de Dee Dee Ramone.
Puis j'ai fait Tina Weymouth, Tom Verlaine, Jonathan Richman, Laurie Anderson. J'ai fait les deux filles de B-52s.
Ne pas connaître ces personnes, ne jamais les avoir rencontrées, ni leur avoir parlé, mais pouvoir quand même faire leur portrait, ça m'a enthousiasmé. Satisfaction. J'ai passé des semaines dans le sous-sol de la Warner Bros. Je pensais avoir un atout. Ma méthode, si on peut l'appeler ainsi, était beaucoup plus souple que la manière habituelle de réaliser des portraits. Je n'avais pas besoin de studio. Une chambre noire. Un réceptionniste. Un calendrier. Du maquillage. Des stylistes. Je n'avais pas à m'occuper d'agents ou de la "personnalité", bonne ou mauvaise, du modèle. Mes frais étaient minimes et je pouvais faire le portrait tout seul.

Tout seul. C'est ce qu'il y a de mieux.

Pourquoi Je Vais Seul au Cinéma.

Au début, j'ai pensé que ça pouvait devenir un business.
Jusqu'alors, aucune de mes œuvres ne se vendait... ou ne se vendait suffisamment bien pour que je puisse en vivre. Je venais de quitter mon emploi à Time Life l'année précédente et j'essayais de m'en sortir en vivant près de Venice Beach à Los Angeles... partageant une maison avec trois colocataires et vivant des ventes occasionnelles que Hudson, mon ami de Chicago, réalisait en vendant mes dessins "humoristiques".
L'idée d'un « business du portrait » me semblait bonne. Qui ne voudrait pas de son portrait ainsi réalisé ?
J'ai continué à faire des amis. Paula Greif. Dike Blair. Myer Viceman. J'ai réalisé le portrait de tout ceux de Wild History, un livre que j'ai préparé pour Tanam Press sur les écrivains du centre-ville. Le portrait de l'auteur accompagnait sa contribution. Wharton Tiers. Spalding Gray. Tina L'Hotsky.
À la fin de l'année 84, c'était fini.
Je ne sais pas si c'est par manque d'intérêt pour moi ou pour les autres (Mon énergie s'est évaporée.) J'étais incapable de convaincre les gens à passer commande. C'était une bonne idée, mais après en avoir réalisé une quarantaine, je les ai mis dans un tiroir et je suis passé à autre chose. Ennuyé ? Fébrile ? Je ne sais pas. Disons simplement que ça n'a pas décollé.

On s'en tient là.

Mes dessins humoristiques sont devenus des blagues et les blagues ont commencé à tout envahir. En fin de compte, je pense que la plupart des gens préféreraient que leur portrait soit fait par Robert Mapplethorpe.

Trente ans. Le temps passe.

Les réseaux sociaux.

En regardant par-dessus l'épaule de ma fille, j'ai vu qu'elle faisait défiler des photos sur son téléphone. Je lui ai demandé ce qu'elle regardait. "C'est mon Tumblr". "C'est quoi un Tumblr ?", ai-je demandé.
C'était il y a... quatre ans ?
Il y a environ trois ans, j'ai acheté un iPhone. Quelqu'un m'avait montré les photos que l'on pouvait prendre avec le téléphone. J'avais abandonné la photographie après la disparition des diapositives couleur. J'ai essayé le numérique, mais je n'ai pas réussi à m'adapter. Je n'ai jamais aimé trimbaler un appareil photo et, de toute façon, je faisais de la peinture et de la gravure à l'encre... l'idée d'utiliser un gros appareil photo encombrant avec toutes ses courbes et gadgets, ce n'était pas pour moi.

Entre le marchand de sable.

L'iPhone était exactement ce qu'il me fallait. Je n'arrivais pas à croire à quel point il était facile de viser et de prendre des photos. Pas besoin de faire la mise au point. Pas besoin de charger la pellicule. Pas de ASA à régler. Ni besoin de choisir la vitesse. La clarté...

Je pouvais voir à des kilomètres.

Les photos prises étaient stockées dans le téléphone. Quand on voulait les voir, elles apparaissaient sur une grille. Et le mieux, c'est qu'on pouvait envoyer immédiatement une photo à un ami, à un e-mail, à une imprimante ... ou organiser les photos, comme l'avait fait ma fille, et les poster de façon public ou privée.

Quand les mondes s'entrechoquent.

J'ai questionné ma fille pour en savoir plus sur Tumblr. Ce sont tes photos ? Où as-tu trouvé celle-là ? As-tu eu besoin d'une autorisation ? Comment as-tu fait ce cadrage ? Tu peux les supprimer ? Vraiment ? C'est quoi ces "followers" ? Qui sont-ils ? Tu les connais ? Et si tu ne veux pas partager ? Tu as combien d'amis qui ont un Tumblr ?

Ce qui est à toi est à moi.

(…)

Richard Prince, Exposition New Portraits, Galerie Gagosian, 2015

Richard Prince, Sans titre (Portrait), 2015, impression jet d'encre sur toile, 167x124 cm


jeudi 1 mai 2025

Faire ses armes (2)

Francis Alÿs, Camgun #73, 2008
Les chargeurs des armes de Francis Alÿs sont des bobines de cinéma. On charge ces mitraillettes avec des images. Elles sont posées au sol, parfois leurs courroies en plastique d'un jaune sinueux leur confère une certaine légèreté, voire élégance. Guerre des images aussi. Fausses armes et fausses images suggérées par l'obsolescence des bobines de film 16 mm. Les Camguns d'Alÿs ont été en partie inspirés par les armes simulées utilisées par l'armée zapatiste lorsqu'elle est apparue sur la scène mexicaine en 1994. Comme les armes en bois des Zapatistes, décrites par la presse comme des jouets ou des répliques d'armes, les Camguns fonctionnent comme des allégories : délibérément symboliques, elles incarnent un désir de remettre en question l'autorité et de contrer la violence. De purs gestes.

Sylvie Réno, Kalashnikov, 2016, carton ondulé

Il y a des périodes, fabriquer quarante kalachnikovs ne lui fait pas peur. Et à la main. Comme ça. Pas forcément parce qu'elle est en colère. C'est sa façon. Elle exécute assez vite ses armes si l'on tient compte du délai de fabrication. Quarante kalachnikovs en quinze jours, c'est raisonnable. En carton les kalachnikovs. (... ) Elle reproduit des armes en carton. Ce qui est destiné à détruire sera fragile. Des chars en carton. Des navires de guerre en carton. De ce carton dont nous sommes entourés. Elle a choisi la légèreté. La légèreté et l'éphémère. Ce qui dure lui pèse maintenant. Le lourd lui pèse. (…) D'abord des esquisses, des croquis. Beaucoup de gabarits et de maquettes. Puis des catalogues pour la précision. Elle utilise de la documentation. Elle accumule les revues sur les armes, les revues pornographiques, les ouvrages techniques sur les bateaux de guerre, les revues d'animaux, les prospectus publicitaires.
Jean-Pierre Ostende, catalogue Lundi jamais (Sylvie Réno), 1998

Richard Baquié, Pistolets, 1983 - Mitrailleuse, 1989
Richard Baquié travaille spécifiquement à dépecer, dénombrer, sélectionner les différentes composantes d'une Vanité à la mesure d'un monde révolu. "La faillite de la représentation, c'est l'approche d'un état de guerre. Chez un artiste, l'acte est souvent désespéré et violent… Suis-je un artiste terroriste ou un terroriste artiste ?" Le bricolage pour l'artiste est une façon de s'inscrire dans un continuum, un ravaudage du tissu social et de l'imaginaire collectif dont les pôles opposés pourraient être la décharge et le musée. Michel Enrici, catalogue Richard Baquié, Mac, Marseille.

Claes Oldenburg, Ray Gun Rifle, 1960

Ray Gun a ses paradoxes : le pistolet à rayon de Claes Oldenburg (ray gun) est à la fois un moyen de survie et un moyen de destruction. Un objet phallique, une arme de défense, d'agression… "La culture américaine, d'abord je la déteste. Mais, je ne cherche ni à l'éviter, ni à l'aimer. J'essaie de trouver ce qu'il y a d'humain en elle."

Étienne-Jules Marey, fusil photographique, 1881
Le fait de photographier (je ne parle pas des photographies à finalité esthétique ou expérimentale) ressemble à un assassinat, au couperet de la guillotine qui, grâce à un ingénieux système de ficelles, nous tire le portrait une fois pour toute - on appelait d'ailleurs "photographe" l'aide bourreau qui maintenait, pendant une exécution, la tête du condamné en dehors de la lunette de la guillotine. J'ai toujours trouvé beaucoup de sens à un épisode du Lotus bleu, de Hergé, où un bandit chinois, sous prétexte de photographier Tintin et son nouvel ami Tchang, dirige à partir de son dispositif photographique non pas un flash mais une rafale de mitraillette : "Haut les mains, bandit, réplique Tintin qui n'est que blessé et possède un revolver, ou je vous "photographie" à bout portant".
Clément Rosset, Fantasmagories, p.33-34, éditions de Minuit, 2006

André Robillard, sans titre (Fusil Chinois), 1985
Dubuffet fait don de sa collection à la municipalité de Lausanne. Le musée de l'Art brut voit le jour en 1976. André Robillard reçoit alors une carte postale de son directeur représentant un de ses fusils. C'est le déclic. Il se remet au travail et ne cessera plus de construire des armes, «pour tuer la misère» et «pour passer le temps», souligne-t-il. «L'art l'a sauvé», assure Philippe Lespinasse.

Francis Alÿs, Camgun # 63, 2005-2006
Cette série d'assemblages a été réalisée lorsque l'artiste « explorait l'idée de la caméra comme arme » pour sa vidéo El Gringo, mais les jeux d'enfants tiennent une place significative dans le travail de l'artiste.
Imiter la sirène d'alerte fait aujourd'hui partie des jeux des enfants en Ukraine :
Siren de Francis Alÿs : ici


Daniel Dezeuze, Armes de poing, 1986-1989 (40 pièces)

Ce ne sont pas des armes de collection. Ces armes sont faites dans certaines conditions. C’est vrai que l’activité manuelle ou physique qui s’y trouve concentrée a une grande importance pour moi. L’aspect nombreux est également très important. Mais aussi l’aspect anachronique. Ce sont des armes sans pouvoir réel. Les exhiber, c’est montrer qu’elles sont inoffensives. C’est parce qu’elles appartiennent à une époque révolue de l’arme qu’il m’est possible, en toute liberté, de les traiter. Elles contiennent un nœud, une énergie ramassée, à la portée de tout le monde. Daniel Dezeuze

Susan Graham, My Dad's Gun Collection, Pistolet à un coup 223 Thompson Center Contender (avec lunette), porcelaine émaillée

Collection de fusils de mon père est une série qui vient du souvenir que j'ai gardé d'un fusil de mon père que j'ai vu alors que j'étais très jeune. J'ai appelé mon père et je lui ai demandé de me donner une liste des armes qu'il possède. J'ai vu qu'il en avait 14 en tout et que cette collection reflétait les différents usages d'une arme à feu dans la culture américaine. Les carabines et les fusils sont destinés à la chasse, tandis que les armes de poing reflètent la peur d'un intrus ou d'un danger — on les achète pour se protéger. Une ou deux de ces armes sont probablement des objets de collection. J'ai commencé à fabriquer des fusils. J'avais déjà travaillé la sculpture avec des matériaux délicats tels que le sucre et la porcelaine, leur blancheur et leur fragilité confère à tout ce que je réalise ainsi une qualité éthérée. (…) Ces sculptures d'armes sont en dentelle, blanches et légères (…) Le message contradictoire envoyé par un objet dangereux comme un pistolet fabriqué dans un matériau fragile comme le sucre ou la porcelaine est le reflet de mes propres sentiments contradictoires de désir, de nostalgie et d'appréhension à l'égard des armes à feu.

 Ray Gun, faire ses armes (1)