mardi 23 septembre 2025

Qui creusera dans ce paysage ?

Sandra Lahire , Uranium Hex, 1987 - photogramme du film, 11 minutes

«Lorsque l'oxyde d'uranium jaune vif quitte le broyeur pour être raffiné en hexahydroxyuranium, les déchets sont évacués par des canalisations, souvent dans l'eau potable des réserves des natifs canadiens, provoquant certaines mutations génétique... telles sont les conditions qui sous-tendent notre électricité produite par les réacteurs nucléaires.» Sandra Lahire

Sandra Lahire , Uranium Hex, 1987 - photogrammes du film, 11 minutes
Dans Uranium Hex, un film de 11 minutes, Sandra Lahire traite de l'exploitation minière de l'uranium au Canada, en mettant l'accent sur le travail des femmes et la destruction de l'environnement. 

Le film utilise un éventail kaléidoscopique de techniques expérimentales telles que la superposition, le re-tournage, les changements de vitesse, le rythme et une superposition sophistiquée de sons où l'enregistrement "ambiant" se mêle aux voix et à la musique. 

Le mouvement constant des images génèrent une matière cinématographiques proliférante : l'image d'un homme creusant pour extraire de l'uranium est superposée au dos d'une femme, tandis que l'on entend le bruit assourdissant des machines et qu'une femme parle : "...c'était comme être jour et nuit sous un appareil à rayons X".

Le film offre plusieurs situations visuelles qui fonctionnent à différents niveaux, mais qui ne s'harmonisent jamais. Les couches d'images et de sons se perturbent, brisant la surface et conférant à l'œuvre une complexité texturale. On y décèle comme le crépitement d'un compteur Geiger.
"Personne n'est autorisé à filmer l'intérieur du broyeur, mais je travaille avec l'impression de couleurs acides et des techniques vidéo qui me permettent de traiter les voix et les champs de sons industriels tout en ramenant la parole émise au premier plan."

L'image récurrente de la cinéaste (regardant dans le cadre comme à la lumière de sa lampe frontale) vaut comme témoignage de ces images de puits de mine, de marques de forage, de radiographies de poumons atteints d'un cancer, et se confronte au regard du spectateur, à sa propre perception des images.
On évalue le but politique de ces images aussi à travers l'esthétique, le plaisir visuel et leur beauté ambiguë. Le contrôle agressif et l'adresse subjective créent une tension réflexive qui engage et perturbe le spectateur.

Inas Halabi, Lions Warn of Futures Present, 2017

Inas Halabi, artiste palestinienne vit entre La Hollande et la Palestine. Elle s'attache à inventer des formes de représentation pour saisir la violence non ponctuelle, lente et invisible – une violence qui, dans la mesure où elle ne se produit pas dans des événements singuliers et où ses effets s'inscrivent dans une répétition, résiste à la structure narrative traditionnelle. Elle tente de rendre palpable cette violence coloniale diffuse qui imbibe les paysages palestiniens ou africains comme dans Hopscotch.

En 2017 dans le cadre du projet Offsite de la 13e Biennale de Sharjah à Ramallah en Palestine, Inas Halabi a réalisé la série d'images Lions Warn of Futures Present ainsi que quatre petits livrets, intitulés aussi collectivement Lions Warn of Futures Present (2017) qui se situent quelque part entre le témoignage et la fable.

Chaque photographie montre un paysage de Cisjordanie, teinté en rouge foncé : des rangées de maisons, une barrière métallique cabossée, un âne près d'un arbre ou des sacs empilés contre une ruine. La couleur a été obtenue en utilisant des feuilles de gélatine colorées devant l'objectif de l'appareil. L'enquête visuelle de Inas Halabi sur ces sites est basée sur le travail de Khalil Thabayneh, un chercheur en physique nucléaire qui enseigne à l'université d'Hébron. Elle a utilisé une liste de relevés des taux de césium 137 présent sur les lieux. Il existe une forme de radioactivité naturelle mais le césium 137 hautement cancérigène et invisible est uniquement produit par la fission de l'atome à l'intérieur des réacteurs nucléaires. Le nombre de feuilles interposées devant l'appareil, et donc l'intensité du rouge, correspond au taux plus ou moins important de césium 137 présent sur le site.

Inas Halabi, Who will Dig into this Landscape?, livre
Quatre livrets bilingues, anglais arabe, contenant parfois des photos, relatent aussi cette réalité sur un ton qui mêle les documents réel, le souvenir d'un quotidien détruit et un fabuleux tant absurde qu'inexorable.
    1 - Qui creusera dans ce paysage ?
    2 - Les Journalistes belges
    3 - Près des grottes se trouve un verger de pêchers
    4 - Les camions me rappellent les enterrements

Les camions me rappellent les enterrements
Trucks Remind me of Burials

Une épaisse mer de nuages noirs roule dans le ciel tandis qu'un bruit de plumes froissées cerne le village. C'était probablement l'une des journées les plus chaudes dans le sud et il y avait quelque chose d'inquiétant dans l'air poussiéreux. Un monticule à proximité recouvre un vaste tronçon de terre et un ruisseau coule tranquillement dans un tunnel sous la route. Au milieu des champs dorés gît une vache morte.

Le bruit des camions parvient à mes oreilles. L'écho des freins se démultiplie en pénétrant dans mon corps depuis le lointain. Mon corps devient une masse inerte en décomposition. Le martèlement dans ma tête va bientôt commencer. J'inspire et j'expire. Au moment où je prends conscience de ma respiration, je prends conscience de ma mort.

Samir se tenait près de la fenêtre. Le rideau de la chambre claquait au vent tandis que le bruit des freins s'immisçait à l'intérieur. Il est sorti sur le balcon, a plissé les yeux et fait de son mieux pour voir à travers la poussière. La chaleur était insupportable et le bruit des freins résonnait lourdement dans la vallée.

Un gros camion avec une plaque d'immatriculation jaune entra par le nord du village, puis ressortit. Le camion réapparut soudain, suivi d'un autre camion, puis…
(lire la suite)

Inas Halabi, exposition After the Last Sky, Amsterdam, 2023
Inas Halabi, Hopscotch (the Centre of the Sun’s Radiance), 2021- Poster

Dans Hopscotch (Le Centre des rayonnements solaires), Inas Halabi emmène les auditeurs dans un voyage de l'Afrique vers l'Europe le long d'une voie ferrée ancrée dans les paysages et dans l'histoire de la production et de l'exploitation de l'uranium. Les éléments sonores ont été prélevés de long du chemin de fer reliant la mine de Shinkolobwe, maintenant fermée, en République démocratique du Congo et une ancienne raffinerie d'uranium appartenant à l'UMHK à Olen, en Belgique. Le projet examine comment le passé colonial se perpétue dans le présent, bien que sous des formes différentes. Tout ceci fait fond à la récente escalade de la violence au Congo, motivée aujourd'hui en partie par la ruée vers le cobalt, le coltan et l'or du pays.  

La pièce maîtresse du projet est un film sans images : l'écran affiche un fond noir et du texte blanc, qui retranscrit et situe une série d'entretiens et d'enregistrements réalisés sur le terrain. L'audio comprend des chants de travail provenant des mines, des entretiens avec des ouvriers et des cadres, des extraits de chansons diffusées à la radio, ainsi que le bourdonnement persistant de la climatisation et de la production industrielle. L'œuvre complète dure près de deux heures et avait été initialement conçue pour être visionnée pendant un trajet en train, en relation avec les paysages changeants observés par le spectateur.

Robert Malaval, Radium, 1977 - acrylique et paillettes sur toile. 120 x 120 cm

Andy Warhol, Atomic Bomb, 1963

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