L'exposition "The Family of Man" ouvre ses portes au Moma le 24 janvier 1955. Edward Steichen, alors directeur du département de photographie du Moma, en est l'instigateur. Elle marquera les esprits non seulement par son concept et le choix des images mais aussi et surtout par son architecture. Les formats y sont variés et l'accrochage non linéaire.
Edward Steichen commence en 1951 à préparer son grand projet d’une exposition expliquant l’homme à l’homme par le langage universel de la photographie. Pour ce faire il lance un appel à des photographes professionnels et amateurs. Parmi les quatre millions d’envois en provenance du monde entier, Steichen et son assistant Wayne Miller sélectionneront 503 photographies de 273 auteurs originaires de 68 pays : Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, Anna Riwkin-Brick, Robert Doisneau … elles composent "The Family of Man".
Considérée comme la plus grande entreprise photographique jamais réalisée, l'exposition a réuni plus de 9 millions de visiteurs de 1955 à 1964, date à laquelle le gouvernement des États-Unis l'offre au Grand Duché de Luxembourg . Elle est aujourd'hui installée à demeure dans le Château de Clervaux, c'est la seule exposition classée au registre de la Mémoire de l'Humanité par l'UNESCO.
Installation au Moma, 1955
L'exposition « The family of man » dresse un portrait de l'humanité, insistant sur les différences entre les hommes mais aussi leur appartenance à une même famille. Elle s'organise autour de 37 thèmes tels que l'amour, la foi en l'homme, la naissance, le travail, la famille, l'éducation, les enfants, la guerre et la paix. L'intention de Steichen était de montrer d'une part l'universalité de l'expérience humaine, mais aussi la formidable capacité de la photographie à rendre compte de cette expérience humaine universelle.
On peut lire le rapport du travail de Master de Sciences Humaines et Sociales, dirigé par Olivier Lugon à l'epfl de Lausanne pour la reconstitution de l’exposition The Family of Man au Musée de l’Elysée à Lausanne, au Jeu de Paume à Paris, ainsi qu'au Musée de la Reine Sofia à Madrid.Malgré ces incontestables bonnes intentions, l'exposition aura aussi ses détracteurs. Roland Barthes critiquera, en 1957, cette mythification de la condition humaine et le sentimentalisme qui l'accompagne dans une de ses mythologie :
" (...) The Family of Man, tel a été du moins le titre originel de cette exposition qui nous est venue des Etats-Unis. Les Français ont traduit : La Grande Famille des Hommes. Ainsi, ce qui, au départ, pouvait passer pour une expression d'ordre zoologique, retenant simplement de la similitude des comportements, l'unité d'une espèce, est ici largement moralisé, sentimentalisé. Nous voici tout de suite renvoyés à ce mythe ambigu de la "communauté" humaine, dont l'alibi alimente toute une partie de notre humanisme. (...)
Ce mythe de la "condition" humaine repose sur une très vieille mystification, qui consiste toujours à placer la Nature au fond de l'Histoire. Tout humanisme classique postule qu'en grattant un peu l'histoire des hommes, la relativité de leurs institutions ou la diversité superficielle de leur peau (mais pourquoi ne pas demander aux parents d'Emmet Till, le jeune nègre assassiné par des Blancs, ce qu'ils pensent, eux, de la grande famille des hommes ?), on arrive très vite au tuf profond d'une nature humaine universelle. L'humanisme progressiste, au contraire, doit toujours penser à inverser les termes de cette très vieille imposture, à décaper sans cesse la nature, ses "lois" et ses "limites" pour y découvrir l'Histoire et poser enfin la Nature comme elle-même historique. (...) Et que dire du travail, que l'Exposition place au nombre des grands faits universels, l'alignant sur la naissance et la mort, comme s'il s'agissait tout évidemment du même ordre de fatalité ? (...) Aussi, je crains bien que la justification finale de tout cet adamisme ne soit de donner à l'immobilité du monde la caution d'une "sagesse" et d'une "lyrique" qui n'éternisent les gestes de lhomme que pour mieux les désamorcer. (...)"
Roland Barthes, Mythologies, La grande famille des hommes, 1957
Roland Barthes ne parle pas de la mise en espace de l'exposition, du jeu des formats d'images, des parcours ménagés pour le spectateur, qui apparentent l'accrochage de l'exposition au montage d'un film.
C'est un cinéaste, Johan Van der Keuken, comme le montre François Albera dans son bel article : Sur trois photographies de Johan van der Keuken, qui en reprendra le programme et polémiquera avec cette exposition dans la plupart de ses films.
"Dans Temps/Travail, justement, montage conçu à partir de l’ensemble de sa filmographie pour figurer dans l’exposition « Le temps, vite ! » du Centre Pompidou, van der Keuken relie précisément cette gestualité humaine à ce qui en dicte le rythme (l’effort collectif, le rendement, la machine), là où l’on n’aurait pu voir qu’une «chorégraphie» abstraite. " F.Albera
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