Dans son livre Films, Paul Graham rend hommage au
support physique de la photographie : le film. Alors qu'il scannait ses
négatifs en vue des tirages pour sa rétrospective à la Whitechapel Gallery, il
a scanné aussi les endroits du film non exposés à la lumière et donc non dédiés
à l'image. Bouts des films, zones intermédiaires entre les images... Film blanc
comme on dirait bruit blanc. Délaissé car non porteurs d'informations, non mis
en forme. Il s'avère que ce bout de celluloïd non exposé contient effectivement
toutes les couleurs comme la lumière blanche. En constellations de nature
différentes suivant la marque et la nature du film (négatif, positif, noir et
blanc). Paul Graham s'adonne ici à une photographie d'une autre sorte, proche
peut-être de la photographie générative de Gottfried Jäger par exemple. "La dynamique propre du matériau donne à ces travaux leur
caractère plastique...". Mais ici il semble que la photographie argentique
se laisse ausculter par les machines numériques. C'est le branchement de l'une
sur l'autre qui produit les images que nous voyons. Celles-ci en effet
résultent du scan du film mais aussi des possibilités de saturation et surtout
de rééchantillonnage permises par le logiciel de traitement d'images.
Obtiendrait-on ces mêmes globules colorés en agrandissant avec un
agrandisseur ou même un microscope. Je ne crois pas. La puissance
d'abstraction de l'outil numérique est ici à l'oeuvre. La même que dans le film
d'Antonioni Blow Up. S'ajoute une certaine dimension élégiaque. En semblant s'approcher de la matière même du film, le photographe
fabrique des couleurs bruyantes aux contours étalés, des images de matière, bel et bien éloignées de la texture fine et granuleuse des films
argentiques. Le photographe règle les échelles, les distances d'approche, les
lignes de traversée, sachant d'emblée que le matériau initial (le film) est,
depuis la première opération (le scan), éliminé.
fg
Il faut brancher ensemble tous les
outils de la photographie.
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