lundi 15 octobre 2012

La vue regardée

Descartes, La Dioptrique, 1637
KeplerPlanche d’Astronomiae Pars Optica, 1604 
Harun Farocki, Images du monde et inscription de la guerre, 1988

"...si, prenant l’œil d’un homme fraîchement mort, ou, au défaut, celui d’un bœuf ou de quelque autre gros animal, vous coupez dextrement vers le fond les trois peaux qui l’enveloppent, en sorte qu’une grande partie de l’humeur M, qui y est, demeure découverte, sans qu’il y ait rien d’elle pour cela qui se répande ; puis, l’ayant recouverte de quelque corps blanc, qui soit si délié que le jour passe au travers, comme, par exemple, d’un morceau de papier ou de la coquille d’un œuf, RST, que vous mettiez cet œil dans le trou d’une fenêtre fait exprès, comme Z, en sorte qu’il ait le devant, BCD, tourné vers quelque lieu où il y ait divers objets, comme V, X, Y, éclairés par le soleil ; et le derrière, où est le corps blanc RST, vers le dedans de la chambre, P, où vous serez, et en laquelle il ne doit entrer aucune lumière, que celle qui pourra pénétrer au travers de cet œil , dont vous savez que toutes les parties, depuis C jusques à S, sont transparentes. Car, cela fait, si vous regardez sur ce corps blanc RST, vous y verrez, non peut-être sans admiration et plaisir, une peinture, qui représentera fort naïvement en perspective tous les objets qui seront au dehors vers VXY..." René Descartes, La Dioptrique, 1637

Le sujet de la gravure de Descartes est : la vue regardée.1 Un oeil extérieur, le personnage barbu, regarde l'image se former dans un oeil expérimental. Il regarde l'oeil fonctionner. Il regarde le mécanisme de la vue. Nous, lecteur de la Dioptrique de Descartes, que voyons-nous ? Un montage. Le shéma de la coupe d'un oeil géant, posé à l'endroit de la surface de contact entre un espace blanc et un espace noir + dans le noir, la tête de l'observateur, dessinée en perspective, barbue + dans le blanc, le dessin mathématique des lignes virtuelles de la projection oculaire. Nous ne voyons pas l'homme regarder une image mais nous le voyons regarder la vue même. Et la vue, en temps que mécanisme sensible, ne peux être restituée que par un montage hétérogène qui combine dessin abstrait et naturaliste.

La page blanche, en haut, comme lieu de la démonstration, lieu de l'écriture et du calcul s'organise à partir d'une réserve noire obscure hachurée, en bas, qui est le lieu de l'observation de l'image projetée. Et le petit personnage, depuis ce qui est un intérieur et un dessous, garde les yeux rivés sur le lieu d'apparition de l'image : sur le linge blanc de la rétine.

1-Victor Stoïchita, l'instauration du tableau, 1999, Droz

Herbert Bayer, Diagram extended field of vision, 1935 
Anthony McCall, Long Film for Four Projectors, 1974, Installation view, Solid light installation in five-and-a-half-hour cycles, Four 16 mm film projectors, two haze machines, dimensions variables
Anthony McCall, Line Describing a Cone, 1973, Installation view at the Musée de Rochechouart, 2007, Solid light installation, 30 minutes, 16 mm film projector, haze machine, dimensions variables

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