dimanche 17 février 2013

Ouvrir l'Objet (4) : Le cadre-étendue

Francis Picabia, Danse de Saint-Guy, 1919-1949
Robert Rauschenberg, White Painting, 1951
Joseph Kosuth, One and Three Frames, 1965
Helmut Smits, Dead Pixel in Google Earth, 2008-2010

Ces quatre oeuvres nous invitent à voir le cadre, non plus comme quelque chose qui circonscrit une surface mais comme condition de l'étendue. A chaque fois, c'est potentiellement l'étendue entière, le monde, qui est convoqué à l'endroit pointé par ce qui n'est peut-être plus que le souvenir d'un cadre.

Robert Rauschenberg, White Painting, 1951  

Youssef Ishaghpour rapporte, qu'au début, Rauschenberg a hésité entre la peinture et la photographie. Tranchant pour la peinture car la photographie, "ç'aurait été pour photographier toute l'étendue des Etats-Unis, centimètre carré après centimètre carré". 

Les White Painting ne sont pas des toiles vides mais des écrans hypersensibles, des capteurs. "Les tableaux blancs étaient des aéroports de lumières, d'ombres et de particules" écrit John Cage. Chaque modulation de la lumière, de l'atmosphère s'inscrit sur leur surface. Rauschenberg lui-même disait qu'elles étaient affectées par les conditions ambiantes, "de telle manière que vous pouviez dire combien de personnes étaient dans la pièce".  

Joseph Kosuth, One and Three Frames, 1965

Dans la série One and Three, l'oeuvre s'ouvre à son cadre d'exposition. L'objet choisi est accompagné de sa photo prise dans le lieu où il est installé et de sa définition dans la langue du pays où a lieu son exposition. En regardant l'oeuvre, je sais où elle est, ceci à deux échelles : le lieu immédiat, là devant moi, la texture du mur et parfois le sol représenté dans la photo en attestent, et le lieu plus vaste que représente la communauté linguistique, le pays. Si l'on pense qu'en changeant de lieu, photo et définition changent, on peut imaginer qu'en circulant sur toute la planète, l'oeuvre finit par la contenir ou par l'avoir contenu dans ses états successifs.  

Francis Picabia, Danse de Saint-Guy, 1919-1949   

La danse de Saint-Guy témoigne au plus haut point de l’esprit de provocation et de subversion qu’était celui de Dada. Quelques ficelles (celles du métier ?) et quelques bouts de cartons cousus. On peut y lire le titre : Danse de Saint Guy, le nom de l'auteur : Francis Picabia et l'énigme : tabac - rat. Comme si les sacro saintes lignes de composition de la peinture, celles que l'on trace à partir du cadre pour ordonner une portion d'espace, se retrouvaient à devoir mesurer toutes les vues, celles de l'esprit, celles cadrées physiquement par cet instrument cocasse tenu comme un volant de voiture. Et la danse de Saint Guy caractérisée par des mouvements involontaires et des contractions des muscles du tronc et des extrémités, agitera alors sans doute le conducteur, l'auteur, l'opérateur, devant les mouvements puissants, involontaires et incessants du monde ainsi visé. 

Helmut Smits, Dead Pixel in Google Earth, 2008-2010
 

La pièce de Helmut Smits reconvoque la représentation. C'est son constituant élémentaire, le pixel, qui donne la taille et la forme dessinée : un carré de 82 cm de côté, brûlé au sol, correspond à la taille qu'aurait au sol un pixel sur une image prise pour Google Earth à 1 km d'altitude. On parle ici aussi de définition mais dans une autre acception que celle de Kosuth. Et le cadre ici n'est plus tracé autour d'une représentation mais à l'intérieur de celle-ci. La réalité physique de l'oeuvre est un "quasi-monochrome" situé sur un fond sur lequel il contraste : l'herbe, ce qui lui permet d'être visible. A condition que la photo qui nous le montre ne soit pas prise par google earth, car chacun sait que sur une image de définition correcte les pixels sont invisibles.

Arnold Newman

Le premier écran rejoué maintenant avec des photographies de Arnold Newman. Photographe du portrait augmenté de son "cadre" de vie et aussi photographe du recadrage

Les séquences "Ouvrir l'Objet" reproduisent les écrans à partir desquels les séances du cours de photographie se font. Le propos de chaque séance est de développer (sens photographique) le contenu des écrans. Ce sont des montages de photographies hors-format. Ce sont des montages dialectiques parfois éclectiques à l'intérieur desquels des images entretiennent les unes avec les autres des séries de liens faibles. Le contenu d'un écran n'est pas la somme des pistes offertes par les images mais à l'intérieur du cheminement proposé par ces photographies (que réactivent les liens ci-dessus) la possibilité de détours, de hors-sujet, d'association d'idées, de déclics, d'égarements, bref la possibilité de laisser la place à ce qui arrive au fil d'un temps de parole collectif partagé et qui constitue la saveur particulière de ce que nous appelons : le cours. Peut-on atteindre (selon le mot de Roland Barthes) un montage idiorrythmique ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire