La lecture des photographies publiques est toujours, au fond, une lecture privée. (...)
Chaque photo est lue comme l'apparence privée de son référent : l'âge de la Photographie correspond précisément à l'irruption du privé dans le public, ou plutôt à la création d'une nouvelle valeur sociale, qui est la publicité du privé (...) Mais le privé n'est pas seulement un bien (tombant sous les lois historiques de la propriété), (...) il est aussi et au-delà, le lieu absolument précieux, inaliénable, où mon image est libre (...) il est la condition d'une intériorité dont je crois qu'elle se confond avec ma vérité, ou si on préfère avec l'Intraitable dont je suis fait (...)
Au fond, une photographie ressemble à n'importe qui sauf à celui qu'elle représente. Car la ressemblance renvoie à l'identité du sujet, chose dérisoire, purement civile, pénale même; elle le donne "en tant que lui-même ", alors que je veux un sujet " tel qu'en lui-même " (...) la platitude de la Photo (...) ne peut répondre à mon désir fou que par quelque chose d'indicible : évident (c'est la loi de la Photographie) et cependant improbable (je ne puis le prouver). Ce quelque chose c'est l'air. (...)
L'air (j'appelle ainsi, faute de mieux, l'expression de vérité) est comme le supplément intraitable de l'identité, cela qui est donné gracieusement, dépouillé de toute "importance" : l'air exprime le sujet, en tant qu'il ne se donne pas d'importance. Sur cette photo de vérité*, l'être que j'aime (...) n'est pas séparé de lui-même : enfin il coïncide. Et, mystère, cette coïncidence est comme une métamorphose.
*si la photo est bonne
d'après Roland Barthes, La Chambre claire, Editions de l'Etoile, Gallimard, Le Seuil, 1980
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire