Pour l’exposition Des images comme des oiseaux, Patrick Tosani a choisi 676
photographies dans le fonds du Centre national des arts plastiques, cnap, dont
il a visité la base de données numériques à partir de 2009. Il a opéré un choix
subjectif dans les 12 000 photos du fonds :
«Faire une exposition comme la métaphore de la construction d’une image (photographique) : être là, face aux choses, viser, cadrer, choisir, inventer un vocabulaire de formes, repenser un nouvel espace.
Concevoir une exposition qui observe les territoires, la géographie, les lieux, qui regarde la généalogie des corps, qui scrute l’épaisseur de la peau, autant d’éléments de la corporéité de l’image photographique.» Patrick Tosani
L’exposition ressemble à un grand livre
d’images à l’échelle 1. Dans la première salle les photographies ne sont ni au
mur ni au sol mais accrochées sur des plans inclinés. Comme deux toits. Ou bien,
l’espace inversé de deux livres ouverts. Le visiteur se sent petit. Les photos ont
chacune leur taille, dans leur cadre ou sur leur support. Chacune leur format,
leur texture, leur encadrement, leur brillance, leurs couleurs, leur sujet.
Chaque photo est une Picture au sens
défini par W.J.T.Mitchell : une image qui a pris corps. On voit d’abord les
différences. C’est le support que l’on regarde, plus que les images. On met en
tension des différences de formats, de surfaces, des répétitions. L’image ici
est davantage reconnue que regardée. Parfois elle reste une promesse, un nom
livré par le cartel qui reprend la topologie du plan. Comme l’Intégrale de Richard Baquié, en haut
du plan incliné, dont on ne verra pas la finesse des collages. Les
photographies sont présentées suivant l’ordre alphabétique des auteurs. Elles
occupent l’espace d’accrochage comme le faisaient les tableaux dans un cabinet
d’amateur au XVIIe siècle. Patrick Tosani, commissaire-amateur. C’est la
collection du cnap qui est exposée. Il paraît que dans certains cabinets
d’amateur tous les tableaux montrés étaient reproduits, peints, sur un des
tableaux accrochés, qui servait de catalogue. L’espace est saturé d’images. Espace-atlas.
«Le déploiement des oeuvres dans l’espace
d’exposition voudrait témoigner de générations d’artistes, d’une généalogie des
genres, d’une typologie des espaces représentés, d’une filiation des corps,
d’une répétition des temps et des instants, d’une observation récurrente du
monde où la photographie est une vigie sensible, lucide et poétique.
Le
dispositif spatial pensé par Pierre Giner avec son inventive et généreuse
complicité propose un principe de présentation des œuvres sur des plans
inclinés. Il conduit le visiteur dans de multiples situations de visibilité et
de regard qui impliquent le corps tout entier. Les œuvres issues de la sélection
sont disposées avec une grande densité selon l’ordre alphabétique des
auteurs.» Patrick Tosani
Les Images oiseaux dont parle Karl Sierek via Aby Warburg ont une propension à passer d’un média à un autre, de la peinture à la photo, au cinéma, aux images numériques, d’où leur survivance et leurs déplacements physiques et sémantiques.
Ce que fait Patrick Tosani est une très belle démonstration de comment les
images apparaissent depuis un siècle dans le média photographique. C’est un
survol (oiseaux ?) ou plutôt une cartographie des pratiques contemporaines
de la photographie et l’énigme réside dans le fait qu’ici, comme dans la
nouvelle de Borges, la carte est le territoire, l'exposition est le catalogue.
Les plis que constituent les plans inclinés
par rapport au sol et même la grande diagonale au deuxième étage par rapport
aux murs sont des mouvements telluriques pour porter à la hauteur de notre
regard ces Pictures, ces images
incarnées dans la photographie, de telle sorte qu’aucune vision d’ensemble ne
soit possible.
C’est là, il me semble, que l’on retrouve Mnémosyne (mémoire) dans l’agissement du
visiteur-marcheur connectant mentalement à distance ces images arrimées à
l’objet photo réel à travers lequel elles nous sont livrées.
Nous sommes pris dans cette physique libre de
l’image où l’arbitraire alphabétique laisse, pour ainsi dire, venir, le mode
d’être concret de chaque photographie.
Des images comme des oiseaux : elles volent
d'un lieu à l'autre, de pays en pays, de continent en continent, partout où
vivent les hommes. Oiseaux-images
migrateurs. Légères et volages, elles sont constamment en mouvement. Ce trope
apparemment si grâcieux venu du romantisme allemand du début du XIXe siècle se
mue sous la plume de Warburg en l'idée d'une charge inassignable, d'un
insaisissable concentré d'énergie, d'excitation et de mouvement. Comme
"image-choc", elle éclaire soudain la conception générale qu'il se
fait de l'image. La mobilisation et la dynamisation de l'image ne signifient
pas seulement aux yeux de l'historien une intensification du mouvement, il ne discerne
pas seulement l'aspect technique de cette révolution, il reconnaît aussi la
valeur ajoutée que prend l'image en mouvement comme dispositif énergétique.
Dans le concert des arts et des cultures, les états agrégatifs de l'image,
qu'ils soient statiques ou cinétiques, sont abordés comme des problèmes
discursifs et restent par conséquent prisonniers des constellations sociales du
pouvoir et du contrôle.
Karl
Sierek, Images oiseaux, Klincksieck, 2009
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