Hannah Höch, Pour une fête, 1936 Brassaï, Statue du maréchal Ney dans le brouillard, 1932 |
Lev Koulechov :
Mais ce que je considère comme plus intéressant encore, c'est la
création d'une femme qui n'a jamais existé. J'ai réalisé cette expérience avec
mes élèves. Je tournais la scène d'une femme à sa toilette : elle se coiffait,
se fardait, mettait ses bas, ses souliers, passait sa robe... Et voilà : j'ai
filmé le visage, la tête, la chevelure, les mains, les jambes, les pieds de
femmes différentes, mais je les ai montés comme s'il s'agissait d'une seule
femme et, grâce au montage, je suis arrivé à créer une femme qui n'existait pas
dans la réalité, mais qui existait réellement au cinéma. On n'a guère écrit sur
cette dernière expérience. J'avais conservé le montage très longtemps, il n'a
été perdu que pendant la guerre. Et là encore, aucun document photographique
n'a subsisté. Tout, tout a été perdu...
(extrait d'un entretien
réalisé avec Lev Kouleshov le 14 juillet 1965 à Moscou par Marcel Martin et
Jean Schnitzer)
Auguste Rodin :
Vous avez cité tout à l'heure le maréchal Ney de François Rude. Et
bien, quand vous passerez devant cette statue, regardez-là mieux encore.
Vous remarquerez alors ceci : les jambes du maréchal et la main qui
tient le fourreau du sabre sont placées dans l'attitude qu'elles avaient quand
il a dégainé : la jambe gauche s'est effacée afin que l'arme s'offrît plus
facilement à la main droite qui venait la tirer et, quant à la main gauche,
elle est restée un peu en l'air comme si elle présentait encore le fourreau.
Maintenant considérez le torse. Il devait être légèrement incliné vers
la gauche au moment où s'exécutait le geste que je viens de décrire ; mais le
voilà quise redresse, voilà que la poitrine se bombe, voilà que la tête se
tournant vers les soldats rugit l'ordre d'attaquer, voilà qu'enfin le bras
droit se lève et brandit le sabre.
Ainsi, vous avez bien là une vérification de ce que je vous disais : le
mouvement de cette statue n'est que la métamorphose d'une première attitude,
celle que le maréchal avait en dégainant, en une autre, celle qu'il a quand il
se précipite vers l'ennemi, l'arme haute.
C'est là tout le secret des gestes que l'art interprète. Le statuaire
contraint pour ainsi dire le spectateur à suivre le développement d'un acte
dans un personnage. Dans l'exemple que nous avons choisi, les yeux remontent
forcément des jambes au bras levé, et comme, durant le chemin qu'ils font, ils
trouvent les différentes parties de la statue représentées à de moments
successifs, ils ont l'illusion de voir le mouvement s'accomplir.
(extrait des entretiens avec
Auguste Rodin réunis par Paul Gsell, 1911)
Il faut photographier le développement d'un acte à l'intérieur d'un personnage.
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