William Wegman, Edge Work, 1972, 21,2 x 18,2, tirage argentique unique |
On dit aussi que le photographe en cadrant tranche dans la réalité dont il coupe une portion qui deviendra la photo. Voici une autre connivence entre le cadre et le couteau.
Cette photographie est ce que l'on appelle maintenant une photographie argentique. Deux supports sensibles à la lumière ont été nécessaires pour la réaliser : un négatif et un papier photographique. Deux temps distincts d'impression. Les couteaux ont été utilisés aux deux étapes du procédé. D'abord disposés sur un fond noir, ils ont été photographiés, à distance et en surplomb, aux limites du cadre. Puis dans le labo, l'image négative projetées sur le papier sensible, ils ont été à nouveaux disposés sur le cadre de la projection. Est-ce que ce sont les mêmes ? Ce second jeu de couteau apparaît en photogramme par contact avec le support, donc à l'échelle un. Forcément l'échelle des premiers couteaux est réduite pour pouvoir être circonscrite par les autres. Dans cette photographie parfaitement frontale et quasi plate, du fait des deux échelles, je perçois une perspective, une épaisseur.
L'image ici se conclue par un geste de désencadrement : on enlève les couteaux qui formaient un cadre sur le pourtour du papier sensible.
Vlatka Horvat, Peripheral Awareness, 2014 |
John Hilliard, Off Screen #5, 1999 |
L'écran se montre, le voir, pour moi, c'est venir l'habiter sachant que son dos est la face qu'il montre à la scène qui se déroule là. L'écran et la scène ont formé dans le lieu, à l'instant de la prise de vue, un système où chacun pouvait être saisi comme coexistant. Mais dans l'image ne coexiste que la face de l'écran et les bords de la scène, ses spectateurs.
Cette image n'a pas d'horizons et le hors champs est en son centre.
On trouve aussi cette relation entre le centre et la périphérie dans le travail de Vlatka Horvat, Peripheral Awareness. Sous forme d'une tension. Une série d'objets ronds ou tubulaires sont disposés sur les bords d'une table ordinaire. La stabilité de l'ensemble paraît précaire, chaque objet est au bord de la chute. L'aspect domestique du meuble contredit la dramaturgie de la chute.
C'est un objet burlesque, nous assistons à l'évacuation de la table par les objets eux-mêmes, non par accident (le rouleau de scotch est tombé !) mais par préméditation (on veut descendre !).
La table évacuée, rangée, débarrassée de ses figurines sera-t-elle alors un monochrome, une abstraction, un meuble décoratif ? Et avant cela, de quel genre d'activité témoigne la grande distance sémantique entre les objets convoqués ? Cette activité décentrée est-elle elle-même viable ?
Jean-Philippe Charbonnier, Le sac noir, Roubaix, 1957 - F. Goria, après Ryman, 1988 |
Il faut vider le centre des photographies.
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