lundi 13 août 2018

Dans un espace serré

Jared Bark, Untitled, PB#1053, 1969, PB#1114, 1973, tirages argentiques
Jared Bark travaille dans l'espace serré du photomaton depuis 1969. Espace minime s'il en est. Espace "pour tous" pendant longtemps. Le photomaton est une cabine photographique automatique. On y entre seul, puis on laisse la place. Un défilé oui, mais un par un, et soi reproduit quatre fois à la sortie.

Jared Bark garde toutes les contraintes de la cabine, tous les embarras afférents, tous les réglages machine : le flash, l'objectif fixe, le rythme des déclenchements, le format (1,5 X 8 pouces), la bande finale : 4 photos. C'est ce dispositif-là qu'il s'emploie à profaner, le rendant à l'action et à l'étonnement. L'identité des gens et des choses devient variable. De la figure jusqu'à l'abstraction, oui.

Jared Bark, Untitled, 1974, tirages argentiques
Jared Bark, Untitled, 1973, tirages argentiques
Jared Bark, Untitled, 1973, tirages argentiques
Jared Bark, Untitled, PB#1040, 1974, tirages argentiques
Mais comment faire entrer tout le corps dans une machine qu'il exède ? Par bouts et par acrobatie !

Dans la cabine de bain de "L'opérateur" de Buster Keaton ou dans la couchette du train de "Certains l'aiment chaud" de Billy Wilder, nous avons à faire à une acrobatie par contact. Le cadre étroit force à l'imbrication des corps, alors énervement ou alors plaisir. Mais chaque fois l'intégrité du lieu est détruite pour ouvrir le quatrième mur à la caméra. Dans le dispositif de Jared Bark, l'appareil et l'espace photographié sont d'emblée solidaires. Si l'espace est ouvert latéralement c'est pour permettre la circulation des corps, leur captation depuis l'espace extérieur. Mais un par un, par quatre et au suivant. L'espace partagé est la surface du montage photographique produit par l'artiste. 

Jared Bark, Untitled, PB #1194 (Palo Alto, CA), 1975; Untitled, PB #1196 (Portland, OR), 1972; Untitled, PB #1187 (Johnson City, TN), 1972; tirages argentiques
Jared Bark, Untitled, PB #1097 (New York City, NY), 1969
En 1969, Jared Bark utilise les photomatons implantés dans l'espace public, à Times Square par exemple. Il utilise alors aussi le public, ceux et celles convaincus, acceptant de se photographier et de laisser les photos à l'artiste. Chaque pièce est alors la trace d'une séance de prise de vues. Le photomaton : un studio. Non, il n'y a pas de photographe, la preuve, l'artiste est lui-même participant. Dans chacune des séries nous identifions, son visage, sa bande. Jusqu'en 1975, il renouvellera l'expérience, à Las Vegas, à San Diego, à San José, à Berkeley, à Palo Alto, à Portland, à Mountain View, à Phoenix… Ce sera la série des Cross Country pieces. L'artiste en général, quelconque. 

En 1973, il achète son propre photomaton. Cet atelier automatisé, introduit dans l'atelier, acquiert alors la particularité de s'ouvrir sur un extérieur à partir duquel l'opérateur agit. Depuis ce prolongement, le lieu attenant, choses et corps se tiennent, se placent. La cabine peut déborder. Une main, un bras, un cache, un objet, une baguette... sont positionnés dans le champ depuis ce hors champ. 

L'action dans la cabine est toujours considérée du point de vue de la surface quadrillée finale constituée par la juxtaposition des bandes de quatre photos. C'est une manière de photographier "à rebours", un "ça sera". L'image existe sous une certaine forme avant le premier déclenchement. La photo lui donnera ce que j'appelle une qualité "d'approximation". Le réel est ce qui ne colle pas.

Jared Bark, Untitled, PB #1047 et PB #1054, 1969.
Installée à Long Island City, Bark Frameworks est une entreprise d'une cinquantaine de personnes qui conçoit et réalise des encadrements pour l'art contemporain et moderne. Une entreprise qui prolonge le travail des artistes, dans l'espace en vue de leur présentation, dans le temps en vue de leur conservation. Dès 1969, Jared Bark a fondé Bark Frameworks dans son loft de Soho, réalisant les encadrements pour les artistes de son entourage : Donald Judd, Jasper Johns, Brice Marden… En 1993, il écrit un essai, publié dans le Picture Framing Magazine, sur l'encadrement et la conservation.

Devenue une référence dans l'art contemporain, la société dont les employés sont aujourd'hui les actionnaires, poursuit ses activités : conception avec les artistes, les galeristes et les collectionneurs, encadrement d'œuvres historiques, mise au point de normes de conservation.

Jared Bark est donc actif dans deux entreprises : d'un côté la cabine automatisée (minima), de l'autre la société d'encadrement (maxima).

Jared Bark, Untitled, PB #1173, 1976
Jared Bark, Untitled, PB #1017, 1973
Il paraît qu'en 1941, l'entreprise Photomaton a proposé ses services pour photographier et classer les déportés. 

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