Lukasa, Luba people, République démocratique du Congo, bois, perles, métal |
Les Lukasa sont des tablettes de bois en forme de sablier qui sont couvertes avec des perles multicolores, des coquillages et des morceaux de métal, ou sont gravés en creux ou en relief et sculptées de symboles. Les couleurs et les configurations des perles ou des idéogrammes servent à représenter de façon symbolique des personnages importants, des lieux, des choses, des relations et des événements de la cour, pour assister la narration orale des historiens de la cour royale Luba. Un Lukasa sert donc d'archive topographique et chronologique des histoires politiques et d'autres ensembles de données, de façon similaire aux Adinkra du Ghana, aux tissus perlés Zoulous, aux tissus Ntsibidi ou aux bas-reliefs du peuple Fon au Dahomey.
Les historiens de la cour, les "hommes de mémoire" faisaient courir leurs doigts sur la surface d'un Lukasa ou pointaient des éléments particuliers, tout en récitant les généalogies, les listes de rois, les protocoles, les histoires épiques de la grande migration Luba, un grand récit oral qui décrit la façon dont les héros, Mbidi Kiluwe et son fils Kalala Ilunga, ont introduit les pratiques politiques royales et l'étiquette de la cour. Pour les Luba, la forme d'un objet décrit la façon dont il fonctionne.
Homme de la société Mbudye utilisant un lukasa |
Homme de la société Mbudye et Aby Warburg |
Lukasa et planche n°78 de l'atlas Mnemosyne d'Aby Warburg |
Planches n°77 et n°78 de l'atlas Mnemosyne d'Aby Warburg |
Mnemosyne ose déconstruire l'album-souvenir historiciste des «influences de l'Antiquité» pour lui substituer un atlas de la mémoire erratique, réglé sur l'inconscient, saturé d'images hétérogènes, envahi d'éléments anachroniques ou immémoriaux, hanté par ce noir des fonds d'écrans qui, souvent, jouent le rôle d'indicateurs de places vides, de missing links, de trous de mémoire. La mémoire étant faite de trous, le nouveau rôle attribué par Warburg à l'historien de la culture est celui d'un interprète des refoulements, d'un «voyant» des trous noirs de la mémoire. Mnemosyne est un objet intempestif en ce qu'il ose, à l'âge du positivisme et de l'histoire triomphante, fonctionner comme un puzzle ou un jeu de tarots disproportionnés (configuration sans limites, nombre de cartes à jouer infiniment variable). Les différences n'y sont jamais résorbées dans quelque identité supérieure : comme dans le monde fluide de la «participation», elles s'animent de leurs liaisons que trouve — par une expérimentation toujours renouvelée — le cartomancien de ce jeu avec temps.
Georges Didi-Huberman, L'Image survivante, 2002
Bibliothèque Warburg, Hambourg |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire