dimanche 16 mai 2021

Un anti-manuel

Louis Matton, Objets Autonomes, 2018
Louis Matton, Objets Autonomes, 2018
Louis Matton, Objets Autonomes, 2018
Objets Autonomes est un ensemble de photographies réalisées par Louis Matton sur la zad de Notre-Dame-des-Landes entre 2012 et 2015. 
 
Des objets, fabriqués au sein d'un contexte politique de lutte, en sont détachés, rendus autonomes par l'utilisation d'un fond noir qui les isole voire les théâtralise. Le photographe ne cherche pas à documenter les actions et expériences menées collectivement sur la zone à défendre. Lui-même partie prenante de la lutte, il en connaît les complexités et le terrain. Il n'est pas témoin, il est acteur. La notion d'autonomie est centrale dans la zad. Autonomie politique, alimentaire, territoriale, médiatique, revendication d'autonomie et autonomie dans les modes de vie, résolution des conflits, habitat, jardins, prise de décisions. L'autonomie, loin d'isoler et de replier les choses sur elles-mêmes, tisse des liens et relie là où les choses étaient séparées dans une société clivante. 
 
Louis Matton, Objets Autonomes, 2018
Ces objets autonomes, le sont-ils car ils viennent d'une zone autonome (la zad), car c'est leur nature (ils ont leur propres lois) ou car on les a fait devenir tel (par la photo) ? Et de quels objets parlons-nous ? De ceux que l'on voit représentés ou des photos qui nous les montrent ? 
Je dis oui à tout. 
 
Ils viennent d'une zone qui aspire à l'autonomie, qui assume de vivre un ici et maintenant dans une intensité. On le voit, ils sont aux antipodes de l'objets standard, uniques, faits de ce qui est là, avec ingéniosité, bricolage habile et précaire répondant à une nécessité. Ils sont avant tout utiles. Ils ont une fonction, même si elle n'est pas explicite dans l'image. S'éclairer, se défendre, manger, jardiner, etc. Pourtant, il me semble qu'ils ont, tels que je les vois là sur les photos, en plus de leur fonction utilitaire, une fonction somptuaire. Quelque chose est là pour rien, gratis, en plus, une charge symbolique qui renvoie à une chose qui est bien au-delà de ce à quoi est destiné l'objet. La photographie permet cet après-coup. Elle ajoute à l'objet une fonction purement symbolique. Ce double lumineux et somptueux, gravé dans le noir, ne renseigne sur rien, il fait figure d'emblème. C'est tout le contexte naturel qui est problématisé car "machiné", déconstruit et refait, ça parle d'un agencement provisoire de choses hétéroclites, d'objets liés, de suspension, de piège, de trophées, d'un hors champ plein de non-vues. 
Ces photos détaillent des apparitions, des surgissements, rien de pérenne mais un univers en formation, mobile, adapté, agile, solidaire, pas de solide ici mais des gestes. Des choses ni bien faites, ni mal faites mais à défaire et refaire, de l'inlassable. 
Un "anti-manuel" dit Louis Matton. 
 
"On s'y bat comme on s'est battu de tout temps, bien plus avec des gestes qu'avec des coups." Jacques Lacan, Séminaire, livre XI, 1973  

Jean-Luc Moulène, Objets de grève - La poële des 17 de Manufrance, 1993 - Chomageopoly, Lip, 2ème conflit, 1974 - Poupée de lutte, Société des poupées Bella, Perpignan, 1983 - Parfum de solidarité, Bourgogne Applications Plastiques, 1996
Irving Penn, Doorway Sign, Naples, 1948 et Iron Tool - Edward Weston

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