mercredi 9 mars 2011

Machine à voir voir

Michelangelo Pistoletto, Chevalet et toile, Musée Reina Sofia, Madrid

Un visiteur (A) s'avance vers une plaque d'acier polie sur laquelle l'image d'un chevalet supportant une toile de petite dimension est collée. Simultanément, depuis l'intérieur de la plaque, un autre personnage (A'), son reflet, s'avance vers le même chevalet supportant la petite toile. Arrêté à proximité de la plaque, A voit sur l'image, l'envers de la toile posée sur le chevalet. S'il lève les yeux, il voit A', son reflet. S'il pose les yeux sur le dos de la toile, A' pose les siens sur l'endroit de la toile. Mais A ne peut pas voir A' voir. Entre A et A', la mince épaisseur de l'image. Une image sans reflet qui dissocie (distingue) l'acte de A de l'acte de A'. Pendant que A voit l'envers de la toile, A' en voit l'endroit. A et A' à eux deux voient l'objet dans son intégralité, sans que jamais l'objet ne se dévoile entièrement. La plaque est le lieu de rencontre de deux images : une image-objet collée à la surface de l'acier et une image-temps qui réfléchit l'espace de la salle.

A se trouve dans la position ordinaire du visiteur de musée scrutant une peinture au mur. Simultanément, A' se retrouve dans la plaque et devant le chevalet, il occupe la place du peintre exécutant le tableau. De part et d'autre de la même toile, A et A' se succèdent dans le temps. A' voit la toile au moment où celle-ci n'est pas encore achevée, A voit "l'endroit" qu'elle occupera une fois terminée. L'image sans reflet de la petite toile sur le chevalet, malgré l'épaisseur représentée de l'objet, n'a pas d'espace pour se retourner; c'est pourquoi son envers, qui est le lieu de la peinture, n'est accessible qu'aux reflets (aux spectateurs reflétés) depuis l'espace-temps du miroir.

Un autre visiteur (B) arrive, un peu de côté. Lorsqu'il regarde dans l'espace, il voit A qui regarde une image montrant l'envers d'un chevalet supportant une petite toile, lorsqu'il regarde la plaque, il voit A' voir la peinture. Si A' lève les yeux vers B c'est que A a détecté le reflet de B dans la plaque, (B') qui se tiendra bientôt à son tour à la place du peintre dans le miroir. Pistoletto démocratise l'espace de la peinture en projetant le visiteur à la fois à la place (toute intérieure) du peintre et dans "le temps du miroir".

Diego Velasquez, Les Ménines, 1657, Musée du Prado, Madrid

René Magritte, La reproduction interdite (Portrait d'Edward James), 1937, Museum Boymans van Beuningen, Rotterdam

3 commentaires:

  1. on retrouve cette belle complexité avec Jeff Wall au centre Pompidou : que photographie quoi ?
    http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-mouvement_images/popup13.html

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  2. Il y a aussi une photo d'Helmut Newton, avec un grand miroir à droite (notre gauche), un modèle devant, et en arrière plan le photographe et son épouse, ainsi que l'appareil, tenant lieu du petit miroir au fond des Ménines (et une longue étude du cliché par V. Burgin, ds un n° d'art press je crois bien spécial photo d'il y a…)

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