dimanche 13 janvier 2013

Figure relevée

Rosemarie Trockel, Leben heisst Strumpfhosen stricken (Vivre c'est tricoter des collant), 1998, photographie, cartes postales, oeufs d'oie.
La pièce Leben heisst Strumpfhosen stricken, 1998, de Rosemarie Trockel, est composée d'une photographie à l'échelle un d'une jeune femme allongée sur une serviette de  bain, d'une quinzaine de cartes postales en noir et blanc et de deux oeufs d'oie peints.  La figure est photographiée du dessus, en plongée. Le contour de sa tête et de ses épaules ont été découpés et cette portion de la photographie est pliée et redressée. L'espace ainsi produit permet d'introduire en partie sous l'image de la tête relevée les objets de la lecture avec leur épaisseur d'objets. Ce travail combine une photographie (plate) avec des objets plus ou moins épais (ici des cartes postales et les deux oeufs de part et d'autre des cuisses). La pièce est exposée directement sur le sol. Les cartes postales débordent sur le sol. Les reproductions sur les cartes reprennent le thème de l'oeuf.


La photographie de l'installation nous montre un espace illusionniste dans lequel la jeune fille semble regarder les cartes postales. Cet espace présente certaines aberrations : les cartes posées sur le chien, les ombres des deux oeufs réels, un morceau de la serviette emporté dans la découpe des cheveux, un peu d'herbe en bas à droite. Ces aberrations seraient explicitées par une vue latérale de la même installation qui révèleraient la coprésence d'une image découpée et d'objets réels. Dans l'espace réel, c'est d'abord l'artifice de ce montage qui est montré au visiteur, qui en s'approchant puis en surplombant l'ensemble se retrouve, in extrémis, dans la position du deuxième photographe. Il recrée à ce moment-là le maximum de cohérence entre les objets et met en mouvement le motif de l'oeuf qui alors circule entre le dessin répétitif de la serviette, le dessin tricoté des collants, les oeufs décorés, les reproductions d'oeufs d'animaux, araignée, hibou, pingouin, ou d'oeufs d'artistes, Brancusi, Manzoni, Bellini, jusqu'aux oeufs de Rosemarie Trockel, photo de blancs d'oeufs, oeuf rempli d'encre, liste de mots où la syllabe "ei" apparaît... Différence et répétition, différence et variation, figure et multiplicité, objet et reproduction, femme et reproduction, art et reproduction, cercle et carré, abstraction et figuration, intérieur d'un objet et intérieur d'une photographie, dessus dessous, ...

Le sens est mis en mouvement autour de cette image, d'une jeune femme allongée et relevée, littéralement tirée par les cheveux.

Rosemarie Trockel, 4 pièces de la série Leben heisst Strumpfhosen stricken 

Living Means Not Good Enough (2002) est la quatrième pièce de la série Leben heisst Strumpfhosen stricken. C'est une photo grandeur réelle d'une figure féminine allongée sur une couverture. La femme semble occupée à lire des livres et des magazines qui sont à la fois représentés photographiquement et présents réellement. Toutes les figures de femmes de cette série sont vues en plongée et, pour accentuer leur tri dimensionnalité, leurs têtes sont découpées et relevées - créant l'illusion que les objets qu'elles regardent sont en face de leurs visages. Cet aspect du travail - la combinaison de la surface plate de la photographie avec des objets réels - est perdu dans toute reproduction mais très important en réalité. Il est particulièrement visible dans la pièce au sol Living Means Not Good Enough, à cause de la quantité de livres entourant la photographie d'une femme aux cheveux bruns, nue mis à part une jupe couleur chair. La femme lit une interview de Madonna parue dans un numéro de Face magazine en 2000. Vus de près les livres éparpillés s'avèrent être réalisés par l'artiste elle-même. Les titres sont souvent combinés avec des images et des thèmes provenant d'autres travaux, jouant sur la mémoire ou sur des références mentales, ils posent des questions au visiteur. Comme Kant l'a écrit, "Ils activent la capacité d'observer hors de la présence de l'objet."

Extrait du texte de Lilian Haberer : ici

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