Plusieurs sols non balayés, art romain, mosaïques, 1- Château de Boudry, 2 - Aquileia, 3 - Musée national du Bardo, Tunisie, 4 - Musée du Vatican |
Asarotos oïkos, Musée du Vatican |
La mosaïque de Sôsos de Pergame connue sous le nom d'asarotos oïkos (la chambre mal balayée) représentait au sol, en trompe-l'œil, les restes d'un festin. L’œuvre originale est perdue mais Pline l'ancien en a fait une description complète. La mosaïque devait manifestement tromper le spectateur, lui faire croire que les restes (arêtes de poisson, pépins, os, ...) y étaient abandonnés par les convives. Les scènes de "sol non balayés" ont certainement été très populaires ensuite dans l'art romain.
Vanité
Pline évoque les artistes ayant connu une grande gloire avec des sujets humbles, voire insignifiants ou vains comme ici les restes d'un repas. Il y a, dit-il, une forte contradiction entre la bassesse des sujets et la grande gloire qu'ils apportent au peintre. C'est alors le caractère illusionniste de la représentation qui est source de plaisir.
Réflexivité
La mosaïque décorant le sol du triclinium était destinée à recevoir les débris réel des repas, elle était visible par les convives pendant qu’ils banquetaient, éparpillant les restes de leur repas sur un sol « déjà sali ». Elle thématise la dialectique réalité/image ou fixe/provisoire. Elle énonce une réflexion sur la représentation. L'accent est mis sur la techné, c'est-à-dire sur l'art même qui devient objet de paradoxe. Une représentation de fragments (les débris d'un repas) est constituée de fragments (la mosaïque) et devient support à d'autres fragments (les débris du repas réel).
Victor Burgin, Gordon Matta Clark, Carl Andre |
Voici trois œuvres du XXème siècle dans lesquelles sol et fragments sont combinés :
Gordon Matta Clark, Blast from the Past, 1972-1973
Blast from the Past consiste en une reproduction photographique d'un tas de détritus au dessus d'une règle, d'un tas de détritus réel et d'une feuille d'instruction manuscrite : "Puzzle kit, contient tous les éléments nécessaires pour recréer cette scène incontestable de l'histoire de mon sol ... Utilisez juste ce simple diagramme pour poser chaque chose à sa place."
Carl Andre, Scatter Piece, 1966
Carl Andre, Scatter Piece, 1966
Scatter Piece est d'abord contenue dans un sac que Carl Andre vide sur le sol. Les éléments de nature différente se répartissent dans l'espace de manière aléatoire, selon leur forme et leur densité, la pesanteur se chargeant d'un agencement que la présence des billes rend totalement instable.
Victor Burgin, Photopath, 1967-1969
Victor Burgin, Photopath, 1967-1969
Photopath est faite en photographiant le plancher sur lequel va être réalisé le travail. Pour l'exposition, les photographies sont agrandies de manière à correspondre parfaitement à l'échelle du plancher. Elles sont alors fixées sur le sol du lieu d'exposition. Burgin superpose la réalité objective de la pièce à sa représentation photographique. Le sol ayant fusionné avec sa représentation photographique (une série de tirages) nous ne pouvons plus marcher dessus.
Je me demande si à cette époque les photos utilisées par Burgin étaient en noir et blanc ou en couleur. Les documents montrant les différentes installations sont eux-mêmes souvent en noir et blanc et ne permettent pas de répondre à cette question. Si le chemin d'images était en noir et blanc alors tout en y adhérant, il se distinguait du sol réel. L'installation de la pièce au Art Institute of Chicago en 2011 était faite avec des tirages jet d'encre couleur.
Je me demande si à cette époque les photos utilisées par Burgin étaient en noir et blanc ou en couleur. Les documents montrant les différentes installations sont eux-mêmes souvent en noir et blanc et ne permettent pas de répondre à cette question. Si le chemin d'images était en noir et blanc alors tout en y adhérant, il se distinguait du sol réel. L'installation de la pièce au Art Institute of Chicago en 2011 était faite avec des tirages jet d'encre couleur.
Victor Burgin, Art Institut of Chicago, 2011 |
Irving Penn, Underfoot, 2000 |
Dans les années 40, Irving Penn a réinventé la nature morte photographique pour les pages glacées du magazine Vogue. Des images à la fois simples et sophistiquées réalisées dans le studio de prise de vues. Il y sublime l'objet, par la lumière, par la couleur, par la netteté de sa ligne…Les photos de sa dernière série Underfoot (Sous les pieds) sont prises dans les rues de Manhattan qu'il arpente avec un appareil moyen format (Hasselblad) équipé de bagues allonges pour approcher l'optique très près du sol. Il rapporte de ce sol urbain des constellations de débris presque incrustés dans le bitume et surtout de nombreux chewing gum écrasés. C'est de l'informe de cette matière, déchet parmi les déchets, qu'il tire avec sa précision habituelle, ses masses organiques énigmatiques et savoureuses. Il aura fini, en portant l'oeil sous le pied, par nous livrer cet espace secret où coïncident, hors échelle, le point de vue et le point de contact.
Deux assiettes, 1 - Laura Letinsky, Morning and Melancholia#21, 1998, 2 - Irving Penn, The Empty Plate, 1947 |
http://dessindrawing.blogspot.com/
RépondreSupprimerMerci pour votre blog passionnant.
Lucien Massaert