Jean Rouch raconte |
Je fais la
mise en scène de mon film dans le viseur. Les viseurs qu'on a aujourd'hui sont
excellents, on est comme dans un fauteuil. On voit son film.
Or je crois
que si tu vois un film de l'oeil droit et si ton oeil gauche, comme un
caméléon, va chercher ce qui va rentrer dans le champ et ce qui se passe hors
écran alors tu as une extraordinaire dyslexie. C'est merveilleux.
C'est un
phénomène qui introduit certainement des troubles mentaux provisoires, se
rapprochant de la transe. A ce moment-là, je dis - et j'emploi les termes de Dziga
Vertov, les termes du Ciné-oeil - je suis en Ciné-transe. Je ne suis plus Jean
Rouch, je suis un ciné-Rouch, un personnage qui est un autre personnage, qui
est Jean Rouch en train de filmer.
Car ce que
je fais, filmer de cette manière, en marchant au milieu d'un rituel, c'est
absolument anormal. C'est une conduite qui est vraiment pathologique. Ça ne se
fait pas socialement, même dans un rituel. Et là, le trajet que je faisais, qui
suivait celui des danseurs, était pour les prêtres de cette possession une
transe peut-être. Une transe de Rouch en train de filmer.
Quand ils
ont vu le film, ils étaient ravis et j'avais mes lettres de noblesse de Ciné-transe.
C'est peut-être à cause de ça que je n'ai jamais été possédé, comme par exemple
Pierre Verger chez les Orisha de Bahia.
Parce que
quand tu fais un film, tu es forcé, même dans ces cas-là, de modifier ton
diaphragme, de modifier ton point, de t'assurer du temps, c'est-à-dire que tu
es pris par tout ce qui te permet de créer quelque chose de nouveau.
Ce n'est pas
exactement moi qui suis possédé, je le suis par l'intermédiaire de cette
merveilleuse machine où je vois naître dans le viseur le film que je montrerai
plus tard. Et c'est ça, en dehors de l'espace, en dehors du temps, que
j'appelle la Ciné-transe. Et j'aime bien être un ciné-Rouch.
extrait transcrit
de Jean Rouch raconte, Pierre-André Boutang.
à propos du film Les Tambours d'avant, 1972, 9 mn
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